Radio J : La chronique hebdo de Simone Rodan-Benzaquen dans le Grand Journal du 13 mai 2022. Thème : "Enquête sur l'antisémitisme en Allemagne"

Depuis plusieurs années, mon organisation, l'AJC s’associe à la Fondapol et à l’Ifop pour mener des enquêtes sur l'antisémitisme en Europe. Notre objectif est de nourrir le débat public sur cette question, grâce à des travaux scientifiques et des données objectives, qui nous permettent de mieux comprendre ce phénomène en hausse en France et un peu partout en Occident. 

Vous le savez, et je vous l’avais présenté il y a quelques mois , nous avons cette année publié notre radiographie sur l’antisémitisme en France. Cette semaine, nous avons sorti une étude similaire en Allemagne. Alors que la police allemande vient d’annoncer une hausse de 29% des actes antisémites par rapport à l’année dernière, la plus grande hausse jamais enregistrée dans le pays, notre enquête vise à en expliquer les ressorts. 

La bonne nouvelle, c’est que la montée de l’antisémitisme n’est pas minimisée, et ce, en France et en Allemagne. Il y a une reconnaissance que l’antisémitisme est en recrudescence et que c’est un phénomène important. Si cette donnée est encourageante, c’est lorsque l’on cherche à mesurer le poids des préjugés au sein de la population, que cela devient plus inquiétant. 

Car il y a une persistance dans des proportions importantes des préjugés antisémites. Et dans les deux pays, on identifie des segments de la population qui sont plus enclins à l’antisémitisme et ce dans des proportions parfois majoritaires. 

En Allemagne on connaissait depuis longtemps l’antisémitisme néo-nazi d’extreme droite, mais le visage de l’antisémitisme a changé, il n’est plus limité à cette seule catégorie de population. Déjà en 2018, lors d’une enquête par l’agence européenne des droits fondamentaux, les Juifs allemands avaient déclaré que 30 % des incidents antisémites étaient perpétrés par des musulmans.

Nous avons donc voulu interroger ces derniers. On voit qu’ils sont, comme en France, davantage enclins à avoir des préjugés antisémites, et sur les plus de 500 musulmans sondés dans l’étude allemande, les idées antisémites apparaissent corrélées à la pratique religieuse, avec des niveaux d'antipathie qui culminent parmi les pratiquants réguliers (31 % en Allemagne, 27 % en France). Se pose donc la question de savoir si la religiosité accentue le risque d'antisémitisme ou si cela tient, et c’est mon hypothèse, à la fréquentation des mosquées comme lieux de socialisation, ce qui en retour pose la question des messages relayés dans certaines mosquées en France et en Allemagne. 800 mosquées en Allemagne sont administrées par DITIP, l’émanation du ministère turc des affaires religieuses, 217 mosquées par Mili Gorus, organisation proche des Frères musulmans et 150 mosquées chiites piloté par IZH, un centre chiite à Hambourg où les dirigeants sont directement nommés par l’Ayatollah Khameini. Si l'adhésion à des opinions antisémites ne sous-tend pas nécessairement un passage à l'acte violent, la question de l'émergence de ce "nouvel antisémitisme" se pose de manière de plus en plus forte en Allemagne, et de façon similaire à ce qu'a pu connaître la France depuis les années 2000.

L'extrême droite reste tout de même un segment de la population particulièrement imprégné par les préjugés antisémites, en France comme en Allemagne. Même si cette proportion se retrouve plus clairement chez les sympathisants de l'AfD, qui sur de nombreuses questions, sont souvent 10 à 15 % au dessus des sympathisants du RN a avoir des préjugés antisémites, l’extrême droite reste sans aucun doute particulièrement poreuse aux préjugés antisémites et conspirationnistes. 

Notre objectif avec ces études est de permettre à la société de se confronter aux réalités de l’antisémitisme contemporain. Pendant trop longtemps, je l’ai vu en France, il était difficile de nommer l’antisémitisme d’extrême gauche, l’antisémitisme musulman ou celui lié à la haine d’Israel. C’est pourtant uniquement en connaissant la réalité que l’on peut commencer à la confronter. Espérons que les Allemands ne perdent pas autant de temps que nous.