Radio J : La chronique hebdo de Simone Rodan-Benzaquen dans le Grand Journal du 8 juillet 2022. Thème : "L’évolution des relations israélo-grecques "

Je vous parle aujourd’hui depuis la Grèce où j’ai participé à la conférence annuelle du magazine The Economist, une formidable occasion aussi pour faire des rencontres bilatérales avec de nombreux chefs d'État et responsables politiques de la région, mais surtout l’occasion de constater la convergence d’intérêts et de valeurs incroyable qui existe désormais entre la Grèce, Chypre et Israël.

Pourtant, je ne sais pas si vous le savez mais dans les années 80, les relations entre la Grèce et Israël étaient plutôt inamicales, à tel point que la Grèce était le seul pays d'Europe occidentale à n’avoir pas établi de relations diplomatiques complètes avec Israël.

Pour nous chez AJC cela n'avait aucun sens. Oui, la Grèce avait des relations privilégiées avec le monde arabe- et il était compréhensible qu'elle craignait de perdre son statut si elle établissait également des liens avec Israël, mais il y avait des limites à cet argument. D'autres nations d'Europe avaient réussi à jongler leurs liens avec les deux côtés de l'équation politique.

C’est pourquoi AJC était la première organisation juive à investir massivement dans les relations - y compris aux États Unis en formant notamment une alliance puissante avec les groupes helléniques au congrès et ailleurs.

En 1986, notre CEO David Harris avait notamment préparé une note pour le Premier ministre grec Andreas Papandreou notant l'absence de liens diplomatiques complets, et les opportunités qui s’y présentaient pourtant. Le message était plutôt bien reçu et en cinq ans, les choses ont commencé à changer radicalement.

A un tel point que le nouveau premier ministre de l’époque, Konstantinos Mitsotakis, (père de l’actuel Premier ministre) et son ministre des affaires étrangères, Antonis Samaras, ont fini par établir des relations diplomatiques complètes avec Israël.

Aujourd'hui, après de nombreuses péripéties au sein des gouvernements grecs, le verdict est clair. Les dirigeants de divers partis, souvent disparates, y compris le précédent gouvernement d’extrême gauche d’Alexis Tzipras, en sont venus à accepter pleinement les liens avec Israël, reconnaissant qu'ils constituent un pilier de la politique étrangère grecque. Et du coup les relations entre Athènes et Jérusalem s'épanouissent dans tous les secteurs. Le tourisme est en plein essor. Les dialogues politiques et stratégiques sont désormais la norme. Des sommets de haut niveau ont lieu régulièrement. La coopération dans le domaine des nouvelles technologies, de la défense (avec un partenariat stratégique à hauteur de plusieurs milliards d’euros) mais aussi bien sûr au niveau de l'énergie et notamment du gaz.

Certains disent que l’amitié est uniquement animée par l’ennemi commun qui est la Turquie. Bien sûr, la Turquie occupe une place importante dans la pensée géopolitique des deux pays. Et on peut se poser la question si, au moment où Israël commence à réchauffer ses relations avec la Turquie, et de l’autre côté les tensions entre la Turquie et la Grèce sont au plus haut niveau, cela ne pourrait pas changer la donne. Mais je reste convaincue, et les entretiens avec les responsables grecques me l’ont à nouveau confirmé, que le principal moteur de la relation israélo-grecque n'est pas la Turquie. Il s'agit plutôt de la reconnaissance tardive du fait que la Grèce et Israël disposent d'un vaste potentiel, en tant que deux voisins et deux démocraties occidentales, pour développer leurs liens dans pratiquement tous les domaines.

Et par ailleurs, en regardant vers l’avenir, d'autres pays de la Méditerranée orientale pourraient également prendre part à cette coopération pour former une véritable alliance. Le forum du gaz de la Méditerranée orientale, dont le siège se trouve au Caire- et auquel participent également l'Égypte, l'Italie, la Jordanie et l'Autorité palestinienne est peut-être une première étape. Les accords d’Abraham pourront peut-être jouer un rôle supplémentaire. Tout cela pourrait conduire à de nouvelles configurations multilatérales, guidées par des intérêts communs et qui pourrait, à terme, impulser la création de nouveaux ponts entre les pays de la région.