OPA (ratée ?) du RN sur le groupe de travail sur l’antisémitisme à l’AN

Il était difficile de passer à côté de ce qui a d'abord semblé être une blague de mauvais goût. Il y’a quelques jours le RN semblait en passe de prendre la tête du groupe d’études sur l’antisémitisme à l’Assemblée nationale.

Les groupes d’études ont pour mission de se spécialiser sur un sujet, d’approfondir une question. Celui sur l’antisémitisme, il se trouve que je le connais bien. Nous avons été parmi les premiers à militer pour qu’en France, il existe un tel groupe.

Pour le RN la question de l’antisémitisme est hautement politique. Cela fait partie d’une part de la stratégie de dédiabolisation que presque tous les partis d’extrême droite en Europe appliquent. L’objectif est de faire oublier la xénophobie et le racisme ainsi que les racines antisémites de ces partis. C’est en quelque sorte une « cachérisation » express. Cela leur permet également de continuer leur stratégie xénophobe tout en se positionnant comme le protecteur des juifs, en pointant du doigt la communauté musulmane, qui serait selon eux, la seule responsable de l’antisémitisme en Europe.

Pourtant, l’antisémitisme n’est pas que cela. Et politiser cette question de la sorte en négligeant ses autres sources est non seulement injuste mais dangereux. Le même raisonnement s’applique par ailleurs à l’extrême gauche, qui n’a pas manqué de sauter sur l’occasion pour crier au scandale concernant cet épisode a l’Assemblée Nationale, mais qui ne dénonce jamais l’antisémitisme en son propre sein.

Alors que le RN est toujours prêt à condamner l’antisémitisme d’extrême gauche ou islamiste, quand l’antisémitisme vient par contre de l’extrême droite, de ses propres rangs, Madame Le Pen, rechigne toujours à le reconnaître. Elle n’a jamais vraiment condamné l’antisémitisme de proches et de la part de membres de son propre parti. Certes, elle a essayé de ne plus s’afficher avec les plus problématiques, mais la proximité reste et quand on creuse tout devient apparent.

Il ne faut pas être dupe sur la nature intrinsèque du RN. Marine Le Pen ainsi que le nouveau président Jordan Bardella ont par exemple toujours été proches de Frédéric Chatillon, un intime de Dieudonné et d’Alain Soral , qui est non seulement connu pour son antisémitisme mais pour ses liens avec Bachar Al Assad et le Hezbollah libanais. On se souvient aussi que de nombreux éléments du programme présidentiel du RN étaient défavorables aux Juifs. C’était notamment le cas de toutes les mesures qui ont trait à la liberté religieuse, ainsi que l’interdiction de l’abattage rituel.

Et cela continue aussi d’être répercuté sur l’électorat du Rassemblement National. Notre dernière radiographie de l’antisémitisme l’a montré très clairement. Il y a une propension accrue dans l’électorat du RN par rapport à la population générale à l’adhésion aux préjugés antisémites. Pour vous donner un exemple, l’affirmation selon laquelle « les Juifs ont trop de pouvoir dans le domaine de l’économie et de la finance » est partagée par 39 % de l’électorat de Marine Le Pen et par 33 % des proches du Rassemblement national,

10 a 15% de plus que dans l’ensemble de la population.

Pour résumer, certains, y compris parmi les intellectuels, nous disent aujourd’hui que l’antisémitisme à changé et qu’il ne vient plus de l’extrême droite. Certes, les sources de l’antisémitisme ont changé, mais s’il n’est plus QUE de l’extrême droite, il l’est encore. Il suffit de regarder en dehors de la France, ce qu’il se passe aux Etats-Unis, en Allemagne, ou encore en Slovaquie il y a quelques semaines quand je m’y trouvais: une attaque sur des cibles homosexuelles de la part d’un antisémite d’extrême droite...

En tout état de cause, il serait impossible pour les organisations et institutions juives de travailler main dans la main avec le groupe de travail si ce dernier était dirigé par le RN. Elles l’ont toutes clairement exprimées et j’espère que cela sera entendu par toutes les formations politiques.

Victor Hugo disait qu’il fallait introduire dans la politique la question morale et la question humaine. C’est exactement en ces termes que se pose le problème. On ne peut laisser l’antisémitisme, une question aussi sérieuse et qui a déjà tant fait de mal à la France, être traité sans morale pour être instrumentalisé comme un outil politique.