Les juifs ont-ils un avenir en France / Do Jews have a future in Europe ?

En marge des dernières élections européennes qui ont vu la montée de l’extrême-droite et de plusieurs partis antisémites en Europe, quatre personnes ont été assassinées sur le parvis du Musée juif de Bruxelles. Ainsi, outre l’extrémisme politique, les juifs d’Europe sont également confrontés à la menace de la violence djihadiste.

Mehdi Nemmouche, un Français arrêté pour avoir perpétré l’attentat, se serait radicalisé en prison puis a combattu pour les rebelles islamistes syriens. Tout comme Mohammed Merah, qui avait assassiné trois soldats, trois enfants juifs et un rabbin, il y a deux ans en France, Nemmouche semble avoir mêlé son gangstérisme à l’islam radical, à l’antisémitisme et à la haine de l’Occident. Le fait qu’il soit le premier islamiste européen de retour de Syrie à avoir mené une attaque terroriste ajoute une autre dimension effrayante à ce problème. Avec quelques 1000 combattants européens présumés en Syrie, les ministres de l’Intérieur de l’Union européenne et les hauts-fonctionnaires de la Commission se sont réunis il y a peu de temps pour élaborer de meilleures stratégies sur le plan de la lutte contre la radicalisation et la détection des mouvements de personnes partant ou revenant de Syrie.

En outre, les juifs d’Europe sont également confrontés à des attaques quasi-quotidiennes à la fois verbales et physiques. En France, où demeure la plus importante communauté juive d’Europe avec 650.000 personnes, la situation est particulièrement grave. En effet, 170 actes antisémites au cours du premier trimestre 2014 ont déjà été recensés par le SPCJ (service de protection de la communauté juive) et le ministère de l’Intérieur. Selon la Ligue française des droits de l’homme, plus de 40% des actes racistes en France sont antisémites, alors que les juifs ne représentent qu’1% de la population.

Ces attaques ont lieu dans le cadre d’un débat public houleux.

L'"humoriste" français Dieudonné a réussi non seulement à populariser un discours ouvertement antisémite mais aussi à forger des alliances improbables. En effet d’origine camerounaise par son père, Dieudonné a rallié derrière lui des membres de l’extrême droite -Alain Soral, « national-socialiste » autoproclamé, Jean-Marie Le Pen, président d’honneur et fondateur du Front national, le négationniste Robert Faurisson- alors même que le noyau dur historique de ses fans sont aussi certains jeunes issus de l’immigration. Peu importe ce que ces groupes divisent, ils sont tous unis par leur animosité contre les juifs et l’Etat juif.

De l’autre côté de la frontière, en Belgique, Laurent Louis, encore membre du parlement belge le mois dernier, tente de reproduire l’appel de masse de Dieudonné. Au début du mois de mai, ce dernier a organisé une conférence dont le but était de réunir antisémites belges et français; conférence qui fut annulée à la dernière minute par les autorités.

Cependant, les tentatives du gouvernement, pour réduire au silence Dieudonné et ses partisans en interdisant ses spectacles, ont été limitées, en grande partie à cause d’Internet. Les diatribes anti-juives de Dieudonné sur Youtube ont des millions de téléspectateurs dans les heures suivantes leur publication. Les autorités peuvent interdire des événements, certes, mais pas les idéologies. Prenons à titre d’exemple une récente manifestation de quelque 17.000 personnes dans les rues de Paris. Officiellement destinée à protester contre la politique du gouvernement, des centaines de participants ont soudainement commencé à scander « juifs hors de France » et « Les chambres à gaz, c’est du bidon! »

Cet environnement pèse beaucoup au sein de la communauté juive. Peut-être pour la première fois depuis qu’ils ont reconstruit leurs foyers en Europe après la Shoah, ils craignent une fois de plus pour leur sécurité et leur avenir. Heureusement, certains dirigeants européens commencent à saisir la profondeur du problème. Albert Camus disait: « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde »; le Premier ministre, Manuel Valls s’en est inspiré pour bien nommer les choses et remettre la France dans le droit chemin. « Aujourd’hui, il y un antisémitisme nouveau, né dans nos banlieues » déclarait le Premier ministre dans une interview en 2012, tout en demandant de ne « pas stigmatiser nos concitoyens notamment de confession musulmane ». Il y a quelques mois lors d’une manifestation contre l’antisémitisme M. Valls est allé plus loin en disant que l’ancien antisémitisme de l’extrême droite française « {s’était} renouvelé, ». « Il se nourrit de la haine pour Israël. Il se nourrit de l’antisionisme. Parce que l’antisionisme est une invitation à l’antisémitisme. » L’antisémitisme en Europe a effectivement pris aujourd’hui de nouvelles formes et provient de différents segments de la société. Il est issu de l’extrême droite avec leur accent traditionnel sur la race et le négationnisme, d’un segment de l’extrême gauche qui vise à diaboliser Israël et, comme M. Valls l’a laissé entendre, d’une minorité de Français issus de l’immigration, souvent musulmans.

La notion toutefois, que les actes anti-juifs sont uniquement déclenchés par le conflit israélo-arabe est clairement trop simpliste. Elle risque aussi de rationaliser et justifier le comportement criminel. La réalité est que le problème de l’antisémitisme est depuis longtemps devenu structurel. Après les meurtres de Merah, par exemple, les attaques anti-juives de France ont grimpé de 58% selon le SPCJ, indépendamment de la situation relativement calme entre Israéliens et Palestiniens.

Dès lors, que peuvent faire les gouvernements et la société civile en Europe pour lutter contre l’antisémitisme?

Tout d’abord, nous avons besoin de plus de leaders comme M. Valls pour dire la vérité et prôner la tolérance zéro. Lorsque des manifestants, pour des « rassemblements pro-palestiniens », crient des slogans tels que « Hamas, Hamas! Tous les juifs au gaz », comme ce fut souvent le cas ces derniers temps dans des rues d’Europe, il y a beaucoup trop de silence de la part des dirigeants politiques et des médias. Les discours de haine en public ne peuvent plus être tolérés et les actes antisémites et racistes doivent sévèrement et systématiquement être poursuivis et punis.

Deuxièmement, toutes les expressions de l’antisémitisme ne doivent pas être combattues avec les mêmes armes. En ce qui concerne certains Français issus de l’immigration par exemple, l’amélioration de la cohésion sociale, de l’égalité des chances sont souvent clé. Mieux intégrer les européens d’origine immigrée n’est pas seulement une vertu et une nécessité en soi, cela peut réduire également la réceptivité chez certains dans ces communautés à l’antisémitisme et à la radicalisation.

Il est également important de soutenir les voix de musulmans modérés. Nous avons besoin de plus de personnes comme Latifa Ibn Ziaten, dont le fils, Imad, parachutiste français, a été assassiné par Merah, qui visite les quartiers les plus difficiles et qui parle à des groupes de jeunes pour tenter de les éloigner de l’influence des antisémites et d’extrémistes. Il existe de nombreuses autres voix: des entrepreneurs, des imams, des écrivains, des personnalités des médias, des étudiants et tant d’autres qui ont ce courage moral pour affronter les extrémistes au sein de leur communauté. Appuyons leur travail, aidons les à construire leurs réseaux.

Troisièmement, c’est dès le début du processus de radicalisation que les efforts doivent être fait, et ce avant que les opinions antisémites soient ancrées et établies. Nos programmes d’enseignement doivent se concentrer sur ce problème, aider les élèves à reconnaître les préjugés dès le début. Les jeunes ont besoin d’apprendre sur la culture, l’histoire et la religion des autres, en mettant l’accent sur les similitudes et les valeurs partagées.

Enfin, la lutte contre l’antisémitisme sur le territoire national pourrait également avoir une dimension de politique étrangère. Aujourd’hui, l’argent de l’Arabie Saoudite et du Qatar coule dans les mosquées européennes, et permet de diffuser leur vision extrémiste de l’Islam. Nous savons aussi qu’avec les télévisions satellites et Internet, les contenus radicaux et antisémites peuvent être facilement accessibles partout dans le monde et ici en Europe. Une partie est malheureusement produite dans le monde arabe. L’UE a récemment introduit le « principe plus-pour-plus », offrant des partenariats plus solides aux pays voisins qui feraient des progrès vers des réformes démocratiques. La fin des discours anti-juifs, anti-chrétiens et anti-occidentaux devrait faire partie des négociations.

L’enjeu est important. L’antisémitisme est toujours symptomatique d’un malaise plus profond dans la société, dont on sait qu’il se dirige aujourd’hui contre les Juifs, mais qu’il finira par s’étendre sur le reste de la société. Il n’est donc pas seulement question du bien-être et de l’avenir de la communauté juive en Europe, mais bien des valeurs que cette Europe incarne.

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Just ahead of last month’s European Parliament elections, which saw the rise of far-right and anti-Semitic parties, four people were murdered in the Jewish Museum of Brussels. The shootings underscored that, in addition to political extremism, Europe’s Jews also face the violent threat of jihadists.

Mehdi Nemmouche, a French Muslim, was arrested on suspicion of carrying out the attack. He appears to have been radicalized in prison, and is believed to have fought for Islamist rebels in Syria. Like Mohamed Merah, who murdered three soldiers, three Jewish children and a Rabbi two years ago in France, Mr. Nemmouche appears to have mixed gangsterism with radical Islam, anti-Semitism and hatred of the West.

With roughly 1,000 European fighters like Mr. Nemmouche estimated to be in Syria, European Union officials are working to devise better strategies for combating radicalization and detecting the movements of people to and from Syria.

But Europe’s Jews also face almost daily attacks—both verbal and physical. In France, home to Europe’s largest Jewish community of about 650,000, the situation is particularly severe, with 170 anti-Semitic acts reported by the Paris-based Jewish Community Protection Service (SPCJ) and the French Ministry of the Interior in the first trimester of 2014 alone. According to the French League of Human Rights, nearly 50% of all racist acts in France are anti-Semitic, even though Jews represent only 1% of the population.

Such attacks take place in the context of an extremely charged public debate. French comedian Dieudonné has managed not only to popularize an openly anti-Semitic discourse, but to forge the most unlikely of alliances. Though his father is from Cameroon, Dieudonné has united behind him individuals from the extreme right such as Alain Soral, a self-described « national-socialiste intellectual, » National Front founder Jean-Marie le Pen and Holocaust denier Robert Faurisson. Meanwhile, Dieudonné’s fan base has deep roots in France’s immigrant communities. Whatever else may divide the likes of Mr. le Pen and Dieudonné’s legions of admirers, they are united by their animosity toward Jews and the Jewish state.

In nearby Belgium, Laurent Louis—until last month a member of parliament—is trying to reproduce Dieudonné’s mass appeal. In early May, Mr. Louis organized a conference to unite French and Belgian anti-Semites, which the Belgian authorities canceled at the last minute.

Government attempts to silence Dieudonné and his followers by prohibiting his shows have failed, largely thanks to the Internet. Dieudonné’s anti-Jewish YouTube diatribes receive millions of viewers within hours of uploading. The authorities can ban events but not sentiments. Take one demonstration in January this year, of some 17,000 people in the streets of Paris. Officially meant as a general anti-government protest, hundreds of participants wound up chanting « Jews out of France » and « the gas chambers were fake. »

This environment leaves many in the Jewish community, perhaps for the first time since they rebuilt their homes in Europe after the Holocaust, fearing once again for their security and future. Fortunately, some European leaders have begun to grasp the depth of the problem. As French philosopher Albert Camus said: « To give things their correct name is to put the world right a bit. » In that sense, French Prime Minister Manuel Valls has started to put France right.

« Today exists a new form of anti-Semitism that is born in our suburbs, » he said in a radio interview in July 2012. He was referring to young Muslims, as apartment blocks outside French city centers typically house large immigrant communities. At the same time he warned « not to stigmatize fellow citizens notably of Muslim faith. » Mr. Valls went further two years later, in March this year, at a rally against anti-Semitism in Paris. The old anti-Semitism of the French extreme right « is renewed, » he said. « It feeds off hate for Israel. It feeds off anti-Zionism. Because anti-Zionism is an invitation to anti-Semitism. »

Indeed, anti-Semitism in Europe has taken new forms and comes from different segments of society. There is the extreme right with their traditional focus on race and Holocaust denial; the radical left, who seek to demonize Israel; and, as Mr. Valls hinted, there is a problem among some Muslim immigrants. Their motivation is little studied and thus little understood.

The simplistic notion, though, that their anti-Jewish acts are triggered by the Arab-Israeli conflict is just that—simplistic. It also risks rationalizing criminal behavior. The reality is that the problem of anti-Semitism has long become structural. After Merah’s murders in 2012, for example, anti-Jewish attacks in France skyrocketed 58%, according to the SPCJ, independent of the relatively quiet situation between Israelis and Palestinians.

So what can governments and civil society in Europe do to combat anti-Semitism?

First, we need more leaders such as Mr. Valls speaking the truth and showing zero tolerance. When demonstrators at so-called « pro-Palestinian » rallies scream slogans like « Hamas, Hamas, Jews into the gas, » as has frequently happened around Europe, political leaders and the media can not stay silent. Public hate speech must not be tolerated and anti-Semitic acts need to be systematically prosecuted and punished.

Second, not all expressions of anti-Semitism should be fought with the same weapons. Regarding the Muslim community, for example, improving social cohesion is key. Better integrating Muslim Europeans is not only a virtue and a necessity in itself, it can also help lower the susceptibility of these communities to anti-Semitism and radicalization.

It is equally important to empower moderate Muslims. People such as Latifa Ibn Ziaten, whose son Imad was one of the French soldiers murdered by Merah, and who now visits France’s most difficult neighborhoods, speaking to youth groups and trying to steer them away from the influences of anti-Semites and extremists. There are many other such voices—Muslim entrepreneurs, writers, media personalities, students with the moral courage to confront the extremists within their communities. Let’s support their work and help build their networks.

Third, more needs to be done early on in the process, before people develop anti-Semitic views. New educational programs ought to focus on this problem, assisting students to recognize prejudices. Youngsters need to learn about the culture, history and religion of other communities, by focusing on similarities and shared values.

Fourth, fighting anti-Semitism at home may also have a foreign-policy dimension. To this day, Saudi and Qatari money is pouring into European mosques, helping to spread an extremist form of Islam. In addition, we know that through satellite television and the Internet, Islamist and anti-Semitic content can easily be accessed in Europe. Much of it is unfortunately produced in the Arab world. The EU recently introduced the « more-for-more principle, » offering stronger partnerships to neighboring countries that make more progress toward democratic reforms. Ending anti-Jewish, anti-Christian and anti-Western hate speech should become part of this bargain.

Much is at stake. Anti-Semitism is always symptomatic of a more profound problem in society, something that might start with Jews but will not stop there. So it is not just the well-being and future of the Jewish community in Europe that is at risk, but the very values Europe stands for.

Source : WallStreetJournal – 11 juin 2014 –  Cliquez ici