Rencontre avec Mithal al-Alusi, ancien parlementaire irakien

Simone Rodan-Benzaquen nous parle de sa rencontre avec l’'ancien parlementaire irakien Mithal al-Alusi, qui est par ailleurs lauréat du prix du courage moral et de Jan Karski de l'American Jewish Committee. C’est un personnage totalement hors du commun, un homme d’un courage rarement vu. Il faut bien prendre la mesure que le simple fait de venir me rencontrer, en tant que représentante d’une organisation non seulement américaine mais juive, de venir à Paris même, est pour lui quelque chose d’extrêmement risqué, lui qui n’est même pas censé quitter son domicile, dans le nord d’Irak, où il est sous la protection des Kurdes, depuis sa condamnation à sept ans de prison pour "insulte au pouvoir judiciaire" par un tribunal fédéral irakien.

Mithal avait critiqué les membres de l'appareil judiciaire irakien pour leur complicité avec le Corps des gardiens de la révolution islamique d'Iran. L’article 226 du code pénal irakien, datant de l'époque de Saddam Hussein, stipule que toute personne qui "insulte" ouvertement le gouvernement irakien ou ses institutions, y compris les forces armées ou les tribunaux, peut être poursuivie et emprisonnée pour une durée pouvant aller jusqu'à sept ans.

Tout a commencé en septembre 2004, lorsqu'il s'est rendu à Herzliya, en Israël, pour assister à une conférence sur la lutte contre le terrorisme, alors qu'il était fonctionnaire de la commission irakienne de débaasification. À son retour, des terroristes d'Al-Qaida ont assassiné ses deux fils adultes, Ayman et Jamal, ainsi que leur garde du corps, pour se venger de la décision de leur père de se rendre en Israël. Malgré cet événement tragique, al-Alusi est resté en Irak, s'est présenté au parlement en tant qu'indépendant et a été élu trois fois depuis.

Il faut également savoir que depuis mai 2021, une loi criminalise les relations entre l'Irak et Israël, pouvant aller jusqu'à la peine de mort. Et pourtant, hier encore, al-Alusi m’a demandé quand j’allais l’inviter pour se rendre de nouveau en Israël. 

Mithal a la conviction que les personnes qui défendent la démocratie, le libéralisme et le pluralisme sont plus fortes que celles qui incarnent l'autre facette du Moyen-Orient : les autocrates, les terroristes, emmenés par l'Iran notamment. Et pour lui, Israël fait partie intégrante de cette bataille. Selon lui, si les démocrates s'unissent, ils peuvent être plus forts, notamment grâce à la jeunesse ultra-connectée, qui est plus proche des valeurs universelles que ce que certains relativistes veulent bien faire croire. 

Pour lui, les accords d'Abraham sont une formidable opportunité car ils démontrent les nombreuses possibilités qui existent au Moyen-Orient. Selon lui, des alliances encore plus larges sont possibles, y compris avec la société civile de pays dont les gouvernements sont encore réfractaires à rejoindre Israël. Il pense que la démonstration de l'existence d'un large bloc de démocrates est essentielle pour amorcer le changement. Il faut montrer qu'au Moyen-Orient, il y a des gens qui ne veulent pas diviser les hommes selon leur religion, leur sexe ou leur éthnicité. Cette société civile, qui aspire à l'égalité et à la liberté, existe partout, même en Irak, en Arabie Saoudite ou en Syrie. Pour lui, Israël et les Juifs jouent un rôle central dans cette transformation. Il m'a longuement parlé de la lente descente aux enfers de son pays quand la communauté juive a été réduite à néant.

En somme, le message d’Al-Alusi est celui d’un Moyen-Orient qui peut se transformer à condition que des alliances entre démocrates soient créées et que ces derniers aient, comme lui, le courage de défendre leurs valeurs. 

Cette leçon peut bien entendu s’appliquer à nous, Européens. Notre continent est aujourd’hui aussi aux prises avec des ennemis, externes comme internes, qui cherchent à imposer l’autocratie et la terreur. Le message d’un homme aussi courageux qu’Al-Alusi peut nous servir à réaliser que ce que nous avons doit être défendu à tout prix.