AJC – Analyse des résultats des élections italiennes

La situation politique en Italie est instable sans solution définitive par Lisa Palmieri-Billig – AJC Italie

Fidèle à son programme politique publié sur son blog, Beppe Grillo, « l’acteur – showman politicien » nouvel entrant sur la scène politique, a refusé une alliance avec le parti du Centre-droit préférant garder sa liberté de vote au détriment d’une majorité parlementaire efficiente.

Pierluigi Bersani, leader du Parti démocrate, qui a réussi à avoir une mince mais insuffisante majorité au Parlement, a reçu une gifle en pleine face de la part d’un nouveau venu intransigeant et plutôt insolent qui militait ardemment pour que la classe politique dirigeante soit entièrement renouvelée.

Lors des élections nationales qui se sont déroulées les 24 et 25 février dernier, des surprises sont apparues concernant le futur de l’Italie, avec des conséquences au niveau de l’U.E, mais aussi sur le futur de la communauté juive italienne,

L’échiquier politique est désormais le suivant.

Le parti Centre-droit, le Peuple de la liberté, de l’ancien Président du Conseil, Silvio Berlusconi, est revenu à la vie alors que tous les experts politiques le déclaraient « mort et enterré ». Il a obtenu environ 30% des voix, soit presque autant que le Parti Démocrate dont une large victoire avait été prédite.

Quant au parti du premier ministre Mario Monti, considéré comme le partenaire idéal pour une alliance avec le Parti Démocrate, celui-ci a récolté seulement 9,14% des voix au Sénat et à la Chambre des Députés.

Plusieurs anciens acteurs politiques ont totalement disparu de la scène parlementaire dont notamment le Président de la Chambre des Députés, Gianfranco Fini et le leader du parti de Gauche Pietro Ingroia.

Au rang des surprises, on peut également citer la mort « tragique » de « La ligue » au sein du parti de Berlusconi, mais aussi le succès étonnant du parti des « 5 stelle » (les 5 étoiles) fondé en 2009 par l’ancien comédien Beppe Grillo qui a recueilli un quart des voix.

Désormais, une impasse menace le futur de l’Italie laissant planer le risque de nouvelles élections (dont le résultat serait le même) ou d’un gouvernement de canards boiteux incapable de former une coalition au Sénat où s’est installée une proportionnelle plutôt qu’une majorité, contrairement à la Chambre des Députés plus gouvernable – et ce, malgré la mince majorité au Parlement du Centre-Gauche.

Tandis qu’aucune majorité se dégage au Sénat et que ce dernier est totalement ingouvernable, la Chambre des Députés, grâce au système électoral italien, sera gouvernée par le Parti Démocrate de Bersani.

Ici, le Centre-gauche a gagné avec une légère avance de 0,36% sur le parti du Centre-droit de Berlusconi (29,54% contre 29,28%) tandis que le parti des « 5 stelle » a recueilli 25,55% des voix.

Le Centre-gauche occupera 347 sièges, le Centre-droit 125 sièges, Grillo 109 et Monti 49.

Au Sénat, le Centre-gauche a récolté 31,63% des voix (124 sièges), le Centre-droit 30,72% (117 sièges), les « 5 stelle » de Grillo 23,8% (54 sièges) et le parti de Monti 9,13% des voix (20 sièges).

Toutefois, sans future alliance entre les partis, aucun groupe ne peut s’assurer du contrôle du Parlement au sein duquel les lois doivent approuvées par les deux chambres pour être promulguées.

L’enthousiasme généré par le parti populiste de Beppe Grillo a eu un effet considérable lors de chaque discours enflammé auprès des jeunes italiens. Ses propos ont raisonné dans toute l’Italie ayant pour apogée, deux jours avant les élections, une marée humaine de 800 000 personnes entassées à la place San Giovanni, lieu historique de Rome, connu pour accueillir les plus célèbres rassemblements de l’après-guerre du Parti communiste en Europe occidentale.

Le parti des « 5 stelle » a recueilli la colère et l’espoir des jeunes générations également, qui font face à la crise économique ; à l’augmentation du chômage obligeant plus d’un millier de jeunes diplômés à s’émigrer ; à la fermeture des commerces ; aux affaires récurrentes de corruption politique, aux privilèges successifs des représentants du pays ; aux nouvelles mesures fiscales punitives imposées aux clases moyennes justifiées comme « un médicament nécessaire » par le gouvernement de Monti tout en omettant de rassurer la population apeurée par une future pauvreté  imminente, l’incapacité de mener simultanément des projets qui encourageraient la croissance économique ; à une bureaucratie lamentable qui décourage la création d’entreprise ; la présence de mafias diverses, les prisons surpeuplées condamnées par l’UE pour violation des droits de l’homme, l’afflux incontrôlable d’immigrants illégaux qui cherchent un emploi et deviennent la proie des réseaux de trafiquants de drogue et l’augmentation conséquente du racisme et de l’antisémitisme, etc…

Les 20 points du programme des « 5 stelle » sont raisonnables, bien qu’un référendum national proposé concernant l’Euro puisse produire une autre catastrophe. Il comprend diverses réformes économiques et légales qui ont pour objectif de résoudre les maux inscrits ci-dessus et permettent une participation plus directe du peuple dans la gouvernance du pays.

Quant à Beppe Grillo, celui-ci continuera à diriger le parti mais pas en tant que parlementaire. Il refuse de former des alliances mais affirme sa volonté de coopérer sur certains points.  Il menace de se retirer du parti si le Centre-gauche (la LIVRE) et le Centre-droite (PdL) s’unissent –  scénario le moins probable.

Étant donné le manque de choix et malgré une campagne de dénigrement amère contre le « 5 stelle », le Centre-gauche a maintenant commencé à offrir sa coopération à Grillo – qu’il a promptement refusé.

 Sur les préoccupations de la communauté juive :

Une suspicion reflétant l’ignorance des problèmes au Moyen-Orient où se mêle des théories du complot antisémites relayée par les déclarations de Beppe Grillo et des commentaires écrits par ses blogueurs préoccupent de plus en plus la communauté juive.

Parmi d’autres stéréotypes tristement infâmes, les blogueurs accusent à plusieurs reprises « les banques juives » de déclencher la crise économique présente.

En juin dernier, le correspondant italien Menachem Gantz du quotidien israélien Yediot Aharonot a publié une interview de Grillo, dans lequel le politicien-comique déclare que les news au Moyen-Orient sont filtrées et censurées par les Services secrets israéliens.  Il affirme : « tout ce que nous savons à propos d’Israël et de la Palestine est traduit dans notre langue par l’agence MEMRI dirigée par Kroin, ex-agent du Mossad. J’ai en la preuve car, lorsque l’ancien Maire de Londres prenait un traducteur indépendant, la réalité était totalement différente et les traductions relataient l’inverse de ce qui était dit.  Quand j’ai écouté parler Ben Laden, le père de ma femme m’a dit que la traduction ne correspondait pas à la vérité. «  (Gantz précise que  » Kroin  » est Ygal Carmon, fondateur de MEMRI et que le beau-père de Grillo est iranien).

Quand le journaliste a demandé s’il avait des doutes sur Ben Laden, Grillo a répondu : « J’ai des doutes. A-t-il été tué ? Était-ce vraiment lui ? La dynamique est suspecte. C’est étrange. »

Il semble aussi avoir peu conscience de la menace sérieuse posée par un Iran nucléarisé, tout en indiquant que les blogueurs iraniens qui expriment leurs espoirs de changement « vivent une vie parallèle avec le dictateur fou. Entre les scientifiques qui sautent, les virus envoyés, il est constamment attaqué. Il doit donc se défendre.» Cependant, a dit Grillo, « je ne pense pas que les jeunes veulent en Israël une guerre. J’ai vu les blogs des pacifistes israéliens. »

Alors que les nombreux propos de Grillo sont dus à un manque évident de connaissance sur la complexité des questions internationales et à une sous-estimation de la signification des évènements sur la scène mondiale, les blogueurs de son site et de son entourage montrent des signes inquiétants de tendances antisémites populistes.

Le mouvement est né il y a quatre ans, fruit d’une opposition violente contre le gouvernement italien et eu pour première dénomination  « Vafa » qui est signifie « Va te faire… »  Les conditions d’accession au parti sont une casier vierge et l’absence de toute adhésion à un parti politique précédent.

Bien que le parti « 5 Stelle » n’ait pas encore pris position contre les propos racistes et antisémites de ses blogueurs Grillo a dit, « j’ai demandé à l’ancien Ministre de la Justice d’agir contre ces phénomènes racistes et négationnistes. »

Stefano Gatti, un chercheur du Centre de documentation israélite, a affirmé que ces « stéréotypes antisémites, sont le fruit d’infâmes ragots du Protocole des sages de Sion » qui ont trouvé à travers l’espace virtuel de Grillo « un moyen  d’exprimer une sorte de fascination perverse » à un moment « rendu propice par la crise économique européenne » et « le recul progressif de nombreux tabous favorisant la libre expression de préjugés racistes et antisémites. »

La communauté juive italienne est alarmée. Cependant,  l’analyse des déclarations de Beppe Grillo apporte des éléments inquiétants et flous sur la question israélienne et américaine, révèle par-dessus tout un manque de connaissances générales et précises des affaires internationales. Le parti des « 5stelle » se concentre uniquement sur les graves problèmes internes de l’Italie.

La présence de deux parlementaires juifs du Centre-Droit dans cette nouvelle constellation est tout de même un facteur encourageant.

Le Député Emanuele Fiano, ancien Président la Communauté juive de Milan, qui est désormais le Directeur sur les questions de sécurité du parti Démocrate, a été réélu.

Yoram Gutgeld, homme d’affaires Italo-israélien qui a été l’in des organisateurs de la conférence majeure israélienne à Milan (« Israël Inattendu ») honorera son premier mandat.

Alessandro Ruben, ancien Député de la coalition du Centre-Droit de Silvio Berlusconi, n’a pas été réélu.

Fiamma Nirenstein, également ancienne Députée du Centre-Droit (journaliste et activiste pro-israélienne dans les gouvernements passés en tant qu’ancienne Vice-présidente du Comité des Affaires étrangères de la Chambre des Députés et Présidente du Comité Parlementaire pour l’Enquête sur l’Antisémitisme ainsi que du Conseil International de Parlementaires juifs) a décidé de ne pas renouveler sa candidature pour faire son aliyah et retourner à sa carrière d’écrivain.

Le Député Emanuele Fiano a déclaré : « pour le bien de notre pays, il est préférable pour nous d’entamer un dialogue avec le parti de Grillo. Cela a d’ailleurs commencé en Sicile. » Yoram Gutgeld confirme en déclarant espérer trouver un accord avec Grillo sur certains points précis. «  Il est préférable de mener des discussions avec le Centre-Droit plutôt que d’avoir de nouvelles élections » a-t-il dit.

Leurs espoirs sont fondés sur un sens de l’éthique,  une solide formation universitaire et sur les capacités professionnelles de plusieurs jeunes parlementaires nouvellement élus des « 5stelle ».

Cependant, tandis que l’UE, les États-Unis et l’Israël observent les bouleversements italiens avec trépidation quant à leurs répercussions internationales possibles, le climat actuel hostile entre anciens et nouveaux partis politiques ne facilite pas la tacher pour sortir de cette crise.