La communauté juive de Paris : un an plus tard…

Un an après les attentats terroristes contre Charlie Hebdo et l’Hypercacher, Simone Rodan-Benzaquen – directrice AJC Paris et Europe – s’exprime au sujet de la communauté juive française.

  1. Comment l’atmosphère a l’intérieur de la communauté juive française a-t-elle évolué cette année depuis les attentats contre Charle Hebdo et l’Hypercacher ?

Les Juifs français sont partagés entre plusieurs sentiments qui peuvent être contradictoires.

Tout d’abord, la communauté a été en deuil, profondément traumatisée par les attentats. Il est clair que la situation diffère de celle qui a précédé l’assassinat d’Ilan Halimi en 2006 ou encore du meurtre des trois écoliers et d’un enseignant dans une école juive de Toulouse. Les Français avaient alors montré peu de solidarité avec les victimes, tandis que cette fois-ci, la France s’est montrée unie. Il y a le sentiment que le reste de la société comprend désormais ce qu’a vécu la communauté juive pendant des années. Elle comprend surtout que les attaques à l’encontre des Juifs ont des implications sur la population entière. Plusieurs millions de personnes se sont mobilisées pour exprimer leur solidarité avec les victimes, réaffirmer les valeurs de la France et montrer leur résistance à la terreur, ce qui a été très bien reçu par la communauté juive.

Malgré tout, beaucoup se sont demandé ce qui se serait passé si les Juifs de l’Hypercacher avaient été les seules victimes. L’idée qu’il n’y aurait probablement pas eu le même élan de solidarité ne les quitte pas.

  1. Pensez-vous que la société française a réagi de manière appropriée aux événements ? Que les conséquences seront durables ?

Il est trop tôt pour parler de durabilité. Après le rassemblement du 11 janvier qui a réuni plus de 4 millions de personnes, beaucoup ont espéré une prise de conscience générale unissant gauche et droite dans l’intérêt du pays.

Et en effet, cela a sensibilisé une partie des Français à la crise de l’extrémisme islamiste, mais il reste encore – malheureusement – une large part de la société française encore apathique : les fractures persistent et, dans une certaine mesure, ont même été renforcées. Le problème de la radicalisation ne cesse de croître. Beaucoup, à l’extrême-gauche, se rallient aux islamistes tandis que la haine populiste de l’extrême-droite continue d’attirer de nouveaux adhérents. Ceux qui voulaient maintenir l’esprit du 11 janvier sont parfois marginalisés.

Les autorités françaises ont mis en place des mesures de sécurité, notamment pour la communauté juive pour laquelle les écoles et les synagogues sont désormais protégées par des soldats. Le gouvernement s’est ouvertement et fermement positionné contre l’islam radical et l’antisémitisme.

Mais les problèmes profonds d’intégration des immigrants, la radicalisation, le manque d’éducation et l’antisémitisme persistent et ne seront réglés que lorsque la société civile sortira de son apathie et exigera un changement durable.

  1. Quelles sont les mesures prises par les Juifs eux-mêmes pour leur sécurité ? Cachent-ils leur identité juive en public ? Envisagent-ils de quitter le pays ?

Cela dépend du lieu où ils vivent et de leur niveau de religiosité. Un religieux « visible » qui vit dans une banlieue difficile de Paris ou de Lyon aura une vie sensiblement différente de celle d’un Juif laïque qui vit dans un quartier agréable.

Pour le premier, beaucoup d’activités quotidiennes deviennent des actes de courage ; Sortir de chez lui avec une kippa, aller à la synagogue, amener ses enfants dans une école juive… Les soldats postés devant les synagogues et les écoles rappellent sans cesse qu’il s’agit de cibles potentielles. La plupart de ces familles ne disposent pas des moyens nécessaires pour déménager dans un meilleur quartier. Quitter la France devient une alternative plausible.

Les Juifs non pratiquants sont moins craintifs d’une attaque physique, puisqu’ils sont moins enclins à se rendre dans des synagogues ou envoyer leurs enfants dans des écoles juives. Cependant, ils partagent la préoccupation de la menace croissante de leur identité. Peuvent-ils maintenir l’équilibre entre leur identité juive et leur identité française ? Ils craignent d’être un jour contraints de devoir faire un choix entre les deux.

  1. La résolution du problème de l’antisémitisme en Europe est-elle en bonne voie ? A quoi ressemblerait-elle ?

Résoudre ce problème sera un processus long et difficile, demandant beaucoup de travail. Des leaders, comme le Premier ministre français Manuel Valls, la Chancelière allemande Angela Merkel, et le Premier ministre anglais David Cameron, ont commencé à prendre la mesure du challenge que cela représente et ont pris des positions de principe courageuses à ce sujet. Il n’y a pas de réponse simple, pas de solution sur mesure. Il y a beaucoup à faire dans les domaines de l’éducation, la contre-radicalisation, l’application de la Loi, l’intégration, et la promotion de mouvements civils luttant contre ce fléau.

Des efforts doivent également être consentis pour renforcer les valeurs démocratiques et pluralistes en France. L’essence même d’une société libre et démocratique est sa capacité à protéger les minorités. Renforcer la démocratie aidera la lutte contre l’antisémitisme, et vice-versa.

Enfin, l’antisémitisme musulman n’est pas la seule forme de haine du Juif. Comme l’a noté le Premier Ministre Manuel Valls, l’antisémitisme historique de l’extrême droite française « est renouvelé … il se nourrit de la haine d’Israël. Il se nourrit de l’antisionisme, parce que l’antisionisme est une invitation à l’antisémitisme ». Alors que la critique de la politique de n’importe quel gouvernement est légitime et peut être constructive, l’antisionisme a trop souvent servi à masquer l’antisémitisme, créant une atmosphère dans laquelle tous les Juifs se sentent vulnérables.

Comme je le disais, la route va être longue et difficile. Il y aura des revers et des déceptions, mais nous, à AJC Europe, sommes plus que jamais engagés à combattre l’antisémitisme et à protéger les valeurs de la démocratie et du pluralisme pour les générations à venir.