Radio J : La chronique hebdo de Simone Rodan-Benzaquen dans le Grand Journal du 24 juin 2022. Thème : "Événements antisémites en Allemagne et dans le monde"
Un nouveau scandale antisémite vient de se dérouler en Allemagne, lors de la Documenta, l’une des plus grandes expositions d’art contemporain au monde. Le collectif indonésien “Taring Padi” présentait à Cassel où a lieu l’exposition, une bannière avec deux personnages qui rappellent l’imagerie antisémite du journal incendiaire national-socialiste “Der Stürmer”: un soldat à tête de cochon porte, en plus d’un casque avec l’inscription “Mossad”, un foulard avec une étoile de David. Sur la même bannière, un Juif représenté de manière orthodoxe est affublé de boucles sur les tempes et d’une kippa, de traits monstrueux et de la Rune SS. Ailleurs, l’artiste Mohammed Al Hawajri opère un renversement antisémite coupable-victime en assimilant, avec sa série “Guernica Gaza”, les attaques aériennes de l’Allemagne nazie sur la ville espagnole de Guernica en 1937 à la lutte contre le terrorisme mené par l’armée de l’air israélienne contre des cibles de l’organisation terroriste Hamas dans la bande de Gaza.
Cela n’est pas sans rappeler la désormais célèbre fresque murale antisémite de Londres, réalisée par Mear One, et que le leader travailliste Jeremy Corbyn avait défendue. L’artiste évoquait quant à lui son étonnement envers le sentiment d’offense des Juifs, expliquant que son œuvre dénonçait une situation de classe et non de race.
L’antisémitisme est donc matière à débat? Apparemment. Il n’est donc pas évident et visible par tous? Apparemment non. Dans le cas allemand, il a fallu beaucoup de discussions et d’interventions diverses avant que tout le monde soit d’accord et que cela soit considéré comme antisémite et que la pièce soit décrochée.
Ceci me fait bien sûr aussi penser à la fresque à Avignon. Les images ont fait le tour des réseaux sociaux hier et ont fini par provoquer un tollé. Une peinture murale située à l’entrée nord de la ville représentant Emmanuel Macron grimé en Pinocchio avec, au-dessus une marionnette, Jacques Attali tirant les ficelles. Cette fresque, intitulée “La Bête 2 l'événement" est signée du graffeur Lekto.
A ce jour, elle a été recouverte de peinture par des jeunes courageux de la ville et devra être, dans quelques heures, effacée par instruction du préfet.
Avant d’arriver à ce résultat, pourtant, certains prenaient la défense de la fresque en invoquant la liberté d’expression, voire même que la fresque était “sujette à interprétation”.
Ce qui est grave et désolant est que les défenseurs des artistes à Cassel, à Londres et à Avignon n’ont pas su reconnaître l’antisémitisme, ou pire, ont sciemment ignoré les références faites par ces fresques à tous les codes de la propagande antisémite et l’iconographie fasciste.
Comment l’expliquez-vous. Manque de culture historique? Peut-être. Ou pire. Car on a pu lire aussi des centaines de commentaires sur les réseaux sociaux intimant aux juifs de voir de l’antisémitisme partout et les accusant de toujours en faire trop. Cette méthode aussi nous la connaissons: ça s’appelle l’inversion de la culpabilité.
Alors que l’on peut se satisfaire que des jeunes antiracistes ont décidé de couvrir la fresque à Avignon, que le préfet agisse pour enfin l’effacer, que la ministre allemande Claudia Roth demande de couvrir la fresque à Cassel, il est tout de même désolant de voir qu’il aura fallu des protestations et des demandes multiples pour que la décision soit prise . Et cela nous laisse à voir, sans doute, le chemin qui reste à parcourir pour qu’un jour, enfin, l’antisémitisme puisse être reconnu par tous et que ses condamnations soient unanimes.