« No Jews, no news ! »

En janvier 2006, alors que le Hamas remportait les élections législatives palestiniennes, j’ai rencontré une jeune Palestinienne qui m’a livré une analyse à laquelle je pense souvent : « Nous avons aspiré à l’autodétermination et à la liberté, mais Gaza n’a droit qu’à la terreur et à l’islamisme, et nous [en Cisjordanie] à la corruption et à l’autocratie. » C’était il y a 15 ans et, depuis lors, la situation à Gaza n’a cessé de se détériorer après que le Hamas a organisé un coup d’État et installé un régime islamiste qui non seulement terrorise les civils israéliens mais opprime également son propre peuple.

Quant au président Abbas, il ne s’est pas révélé être le parangon de la liberté et de la démocratie que certains espéraient. Après le départ du Premier ministre Salam Fayyad, Abbas a de nouveau laissé la corruption prospérer, des centaines de versements aux familles de terroristes être octroyés, et des manuels scolaires enseigner haine et violence aux enfants palestiniens. Entamant la seizième année de son mandat présidentiel de quatre ans, Abbas empêche toute forme de transition démocratique de se mettre en place.

Contrairement à ce que pensent de nombreux observateurs, la frustration et la colère des Palestiniens ne sont pas seulement dues à l’occupation israélienne. C’est pourquoi, au cours des dernières semaines, des milliers d’hommes et de femmes sont descendus dans les rues de Ramallah et d’ailleurs en Cisjordanie, notamment après la mort de Nizar Banat, l’un des plus grands détracteurs du président Abbas, à la suite de son arrestation par les forces de sécurité de l’Autorité palestinienne.

Depuis lors, des militants de la société civile et des journalistes palestiniens ont fait l’objet d’intimidations et d’arrestations, ce qui a poussé certains d’entre eux à demander publiquement la protection de l’Europe. Mais malgré cette situation, et en contraste flagrant avec le conflit le plus récent entre Israël et le Hamas de Gaza, les manifestations qui se déroulent en Cisjordanie et la répression qui s’ensuit ont été presque entièrement ignorées par les médias, les responsables politiques et la société civile en Europe et aux États-Unis. Point de slogans, de « Free Palestine », de tee-shirts, de grands discours et de manifestations ; point de posts Instagram de top-modèles et de larmes.

Incroyable aveuglement

Les traditionnels défenseurs de la cause palestinienne, en particulier à gauche – ceux-là mêmes qui avaient protesté avec véhémence contre les actions israéliennes à Gaza –, sont restés silencieux. Pourquoi cela ? Pourquoi ceux qui s’identifient comme des défenseurs du peuple palestinien, comme des porteurs de flambeau des droits de l’homme, semblent-ils avoir cet incroyable aveuglement ? Comment expliquer l’apathie totale face à ces récentes manifestations ? Comment expliquer également le silence sur le sort réservé aux Palestiniens réfugiés du camp de Yarmouk en Syrie au cours de la dernière décennie, durant laquelle le régime d’Assad et les milices alliées ont tué, arrêté et déplacé des milliers d’entre eux ? Qui peut honnêtement dire qu’il en a même entendu parler ?

Comment expliquer le manque d’intérêt pour les droits de l’homme de la part de ces mêmes acteurs lorsqu’Israël n’est pas impliqué ? Pourquoi ne les entendons-nous pas parler des Ouïghours opprimés par la dictature chinoise, des Rohingyas déplacés par la junte birmane, des Kurdes et des Yazidis violés et torturés en Syrie et en Irak, des athlètes iraniens tués et des militantes féministes emprisonnées, des chrétiens nigérians exterminés par Boko Haram ? Je crains qu’il n’y ait pas d’explication, si ce n’est l’absence d’intérêt des soi-disant militants pro-palestiniens pour les « vrais » Palestiniens, en chair et en os.

Ce qui semble les intéresser, c’est une version « romancée » des Palestiniens, de David contre Goliath, d’une sorte de réincarnation déformée de la résistance coloniale ou raciale, qui en dit en réalité plus sur eux-mêmes que sur les Palestiniens. Pour que leur obsession idéologique « fonctionne », pour qu’ils ressentent de l’empathie à l’égard des Palestiniens, ils ont besoin qu’Israël, le pays « raciste » et « colonisateur », fasse partie de l’équation. Cela ne signifie pas qu’Israël est au-delà de toute critique, cela va sans dire. Mais la réalité est qu’il ne s’agit pas tant du conflit que d’une obsession plutôt malsaine envers un Israël fantasmé.

Il y a de multiples raisons à cela. Une partie est liée à une campagne de propagande plutôt réussie menée par les dirigeants palestiniens et leurs alliés depuis des décennies à travers le monde et notamment dans les institutions multilatérales. Une grande partie est liée à un changement idéologique de la gauche, pour qui « la race » et d’autres catégories démographiques ont remplacé la lutte des classes, et dont Israël est devenu la parfaite (et unique) incarnation. Cela a des conséquences catastrophiques pour les juifs du monde entier qui sont devenus les victimes de ce qu’on ne peut que qualifier d’obsession antisioniste, produisant un paradigme dans lequel le rejet total d’Israël est exigé de tout juif, de peur qu’il ne soit considéré comme complice des « entreprises maléfiques » d’Israël, devenant ainsi une cible potentielle et légitime.

Relativisme

Cette approche « sioniste-centrée » est l’une des raisons pour lesquelles le Parti travailliste britannique, sous la direction de son ancien chef Jeremy Corbyn, s’est retrouvé gangrené par l’antisémitisme, et pour lesquelles nous avons vu cette « nouvelle forme » d’antisémitisme prendre de l’ampleur en Europe au cours des vingt dernières années et également engendrer les plus récentes attaques antisémites dans les rues de Londres, New York et Los Angeles.

Mais cette situation est également lourde de conséquences pour les Palestiniens, dont les partisans choisissent d’ignorer le terrorisme et la tyrannie qui ont fait des ravages et ont servi de couverture à une représentation politique qu’ils n’accepteraient jamais pour eux-mêmes – ce qui ne s’apparente à rien d’autre qu’une forme de relativisme et même de racisme. Le rejet actuel par la population palestinienne de ses dirigeants est quelque peu inédit et, de la même manière que l’on a essayé de comprendre les mouvements de ce que l’on a appelé le Printemps arabe, nous gagnerions à nous intéresser d’un peu plus près aux réelles aspirations des Palestiniens.

Indignations sélectives

Enfin, cette propension à la critique systématique d’Israël a des conséquences négatives sur les droits de l’homme dans le monde en général. Depuis sa création en 2006, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU n’a qu’un seul point distinct et permanent à l’ordre du jour, à savoir Israël. Pas la Corée du Nord, pas l’Iran, pas la Chine, pas le Venezuela. Sur les 24 sessions qui critiquent des pays, plus de 35 % ont visé Israël. Ce ciblage obsessionnel d’Israël est non seulement injuste pour ce pays, mais il signifie également que le Conseil des droits de l’homme de l’ONU passe trop de temps sur Israël pendant qu’il ignore les véritables violations des droits de l’homme dans le monde.

Le slogan « no Jews no news » décrit malheureusement trop bien cette vision du monde. Ce qui est en jeu a moins à voir avec le monde de la politique qu’avec celui de la psychologie, et moins à voir avec Israël qu’avec ceux qui sont obsédés par Israël. Avant que ne s’ouvre le 20e anniversaire de la Déclaration de Durban contre le racisme, à l’occasion duquel il y a fort à parier qu’une partie des soi-disant « antiracistes » exprimeront une fois encore leurs indignations sélectives, rappelons-nous que ce n’est qu’en comprenant le fonctionnement de cette logique et les conséquences qui en découlent pour les Israéliens et les Palestiniens, comme pour les juifs de la diaspora et pour les conflits oubliés dans le monde, que l’on pourra la contrer efficacement. Et le plus tôt sera le mieux.