Offensive russe en Ukraine : le choix des extrêmes en France
Radio J : La chronique hebdo de Simone Rodan-Benzaquen dans le Grand Journal du 25 février 2022.
Alors que Vladimir Poutine vient de faire le choix délibéré et conscient de lancer une guerre contre l’Ukraine, il est tout à fait frappant de voir qu’aux condamnations officielles se sont mêlées les voix de ceux dont la proximité intellectuelle avec Poutine ne fait pourtant que peu de mystère.
Si aujourd’hui, Marine Le Pen, Eric Zemmour et Jean-Luc Mélenchon condamnent plus ou moins avec conviction l’intervention russe, rappelons qu’ils répétaient à longueur de journée, au cours des derniers mois, les éléments de langage du Kremlin.
"La Russie est notre meilleur allié et Putin un grand chef d’Etat à qui on « n’impose pas de limites »…, avait déclaré Eric Zemmour au début du mois. Marine Le Pen avait quant à elle proposé un troc : "Exiger de la Russie la sortie définitive du Donbass" et "reconnaître l'intégration de la Crimée ukrainienne à la Russie."
Ils étaient même prompt à imputer la responsabilité de la situation sur les Etats-Unis et bien évidemment sur l’OTAN - eux dont la défiance envers les instances supranationales (Union européenne, OTAN), n’a d’égal que celle envers les Etats-Unis.
Il ne s’agissait ici nullement d’aveuglement ou de naïveté mais d’un positionnement historique et cohérent face à Moscou. A l’instar d’autres populistes et partis d’extrême droite européens, tels que l’AfD en Allemagne, la Ligue en Italie, ou encore le FPÖ en Autriche, l’extrême droite française a toujours fait preuve de proximité avec Moscou. Il ne faut pas non plus oublier que ces partis ont pour certains reçu une aide financière (près de 9,5 millions d’euros pour le Front national en 2014) - une façon pour Poutine de déstabiliser et fragiliser les démocraties occidentales en galvanisant les mouvements populistes.
Vladimir Poutine tente en effet depuis longtemps d’exploiter les faiblesses des pays européens. L'influence politique, a travers l’embauche d’anciens premier ministres ou chanceliers comme François Fillon ou Gerhard Schröder, dans des sociétés publiques russes qui sont toujours en poste à l’heure où je vous parle. Influence médiatique aussi, à travers RT et Sputnik, mais aussi l'usage des nouvelles technologies, hacking, fake News sont les armes employées pour cette guerre froide 2.0, qui vient de se transformer en guerre chaude.
Revenons à nos candidats. La Russie de Poutine a toujours incarné aux yeux des populistes les valeurs sur lesquelles repose leur rhétorique : l’ordre, la sécurité, la souveraineté. Marine Le Pen en visite à Moscou en 2017 avait loué la “nouvelle vision” du monde du leader russe. A cela s’ajoute le mythe de l’homme providentiel, cher aux populistes, qui se retrouve dans la mythification et la virilité du Président russe.
Eric Zemmour avait d’ailleurs affiché son empathie avec Poutine qu’il qualifiait de “vrai patriote de son pays”, révélant une identification forte, à la fois idéologique, stratégique et personnelle.
Pour le populisme de gauche, l’explication est ailleurs : la fascination pour la Russie naît plus d’un anti-américanisme historique (qu’on peut par ailleurs aussi retrouver chez Éric Zemmour) et d’une logique : « les ennemis de mes ennemis sont mes amis ». Prendre le parti de Moscou plutôt que celui de Washington permet d’adopter une attitude rebelle à moindres frais sur le volet international. Cela joue sur l’idée d’une parole libre, loin des conventions et du système.
Jean-Luc Mélenchon insistait d’ailleurs jusqu’à présent sur le fait que les Américains ne devaient "pas chercher à annexer l'Ukraine à l'OTAN", même si cela n'a jamais été sur la table pendant cette crise.
Il rejoignait en cela la position d’Eric Zemmour. Mélenchon et Zemmour avaient d’ailleurs débattu à la télévision dans le cadre de la campagne et l’anti-américanisme étaient l’un des rares sujets d’accord qui en était ressorti.
Aujourd’hui, la crise et la réaction de Poutine mettent sans doute mal à l’aise ces aspirants à la présidence, qui assumaient jusqu’à présent une proximité de vues avec Poutine.
Mélenchon a fini par reconnaître qu’ "une ligne a été franchie". Marine Le Pen a fait part d’un "un acte éminemment regrettable", tandis que Zemmour a parlé d'une décision qui "viole la souveraineté de l'Ukraine et le principe d'intangibilité des frontières", mais tout en s'abstenant de condamner Vladimir Poutine.
En réalité, au-delà de ces condamnations de circonstance, il est important de voir que leur complaisance de longue date envers Moscou démontre le peu de cas qu’ils font de la défense de la France et de ses intérêts. Des patriotes et souverainistes qui tournent le dos aux valeurs occidentales et à la vision d’une France ancrée dans une Europe souveraine.