Être juive en France aujourd’hui.

Par Simone Rodan-Benzaquen, Directrice AJC France

« Wie Gott in Frankreich leben !  » Cette maxime, qui littéralement signifie « vivre comme Dieu en France», – était un dicton yiddisch répandu en Europe pendant longtemps chez les ashkénazes fascinés par ce pays. Il symbolisait le bien-être des juifs en France. C’est cette maxime – qui malgré les épisodes noirs de l’histoire pour les juifs français, a bercé mon enfance, et grâce à laquelle j’ai probablement décidé de m’installer à Paris.

Car ce choix pour la France n’a rien du hasard. J’ai grandi dans une Allemagne traumatisée, où la seule obsession était de se confronter avec son passé. « Plus jamais ça ! » était  les mots qui ont marqué toute une génération. J’ai donc tout naturellement été fascinée par la France, ce pays des Droits de l’Homme et des Lumières, ce pays ou les juifs vivaient heureux…comme Dieu en France, ce pays qui pouvait donner la  possibilité a chacun de devenir, d’une certaine manière, l’égale de sa Marianne. Le « Juif d’Etat » est un phénomène Français. Pour devenir Premier Ministre en Grande Bretagne, Disraeli était obligé de se convertir; Leon Blum, lui, était resté juif.

Arrivée en France j’étais fascinée par le fait que tant de juifs célèbres étaient représenté dans la société française, que leur judaisme était connue, mais qu’ils étaient surtout et avant tout des citoyens français.

Pourtant dès le début des années 2000, petit à petit je devais me rendre à l’évidence, que cette idée que je me faisais de la France avait changé, que pour une juive en France le « plus jamais ça » n’était plus une certitude.

Chaque année mes angoisses s’intensifiaient : « Puis-je exprimer mon judaïsme sans craindre pour ma sécurité et celle de mes enfants ? Puis-je montrer mon attachement pour Israël sans me sentir menacée? Est-ce que je suis une mère responsable d’élever mes enfants ici, dans ce pays ? »

Nourries par l’augmentation de la violence antisémite en France depuis 14 ans- 169 actes antisémites dans le premier trimestre de 2014 ont déjà été comptabilisées – ces craintes ont atteint leur paroxysme cette semaine.

En ce 12 et 13 juillet 2014, veille de fête nationale et du triste anniversaire de la rafle du Vel d’Hiv, nous avons été les témoins des dérives inacceptables contre les juifs et les lieux de cultes. Jets de cocktails Molotov sur la synagogue d’Aulnay sous Bois, assauts de deux synagogues dans les rues de Paris, des propos d’un homme politique (EELV) jugeant « pas étonnant que des synagogues subissent des attaques lorsqu’elles soutiennent la politique d’Israël » et foule scandant dans les rues « morts aux juifs » furent à l’ordre du jour.

Ces 12 et 13 juillet, au même titre que la manifestation du « jour de colère «  ou des paroles similaires avaient été scandées, que l’assassinat d’Ilan Halimi ou les attentats commis par Mohamed Merah ou ceux commis par le présumé terroriste Medhi Nemmouche en Belgique, ont été la synthèse de ce que les juifs vivent en France ces dernières années.

Alors pour certains, l’explication est toute trouvée et s’appelle : l’importation du conflit israélo-palestinien. Le raccourci est facile puisque ces actes abominables avaient cette fois-ci eu lieu en marge de manifestations pro-palestiniennes. Toutefois, cette notion que les actes anti-juifs sont uniquement déclenchés par le conflit israélo-arabe est trop simpliste.

Il n’est ici plus question de défendre une politique ou exprimer un attachement pour la cause palestinienne.  En effet, il n’ y a rien de pro-palestinien à vouloir attaquer du juif parce qu’il est juif. Aucune idéologie pro-palestinienne ne justifie en France cette soif de vouloir humilier, blesser et tuer les nôtres. Dès lors, ne soyons pas dupes, cette haine ne peut s’inscrire dans un soutien légitime au principe de l’autodétermination du peuple palestinien.

En France, la cause palestinienne est devenue un prétexte pour se défouler contre le juif et il ne fait aucun doute que le sort de ces « frères opprimés » n’importe nullement ceux qui scandent dans les rues  «  Hitler n’a pas fini le travail ! » tout en  brandissant les drapeaux du Hamas ou du Hezbollah.

Malheureusement c’est un problème plus profond où se mêlent haine du juif, islamisme radical et volonté de subvertir notre société.

La France est devenue le refuge de certains caïds qui ont une aversion profonde pour notre démocratie et le monde occidental. C’est pourquoi ce dont nous avons été les témoins ces derniers jours n’est pas que le problème de la communauté juive mais celui de tous les Français.

« Français de souche » ou d’adoption, nous avons plus que jamais le devoir moral de protéger les valeurs fondatrices qui nous rendent fiers d’être ce que nous sommes.Nous ne devons plus tolérer ces discours de haine dans la rue, ni exprimer une certaine clémence pour ces personnes qui se nourrissent dans le populisme et l’extrémisme. Il faut, à tout prix, lutter pour empêcher le délabrement de notre espace public. Les moindres fissures de notre société doivent être comblées et nous avons besoin d’une société intransigeante où il est désormais essentiel de combattre toute incivilité par son inverse, à commencer par la lutte contre l’antisémitisme et le racisme.

Tolérance zéro, oui ! Tout acte ou toute menace antisémite doit être condamné moralement et pénalement  sans équivoque. En revanche, cette tolérance zéro ne sera pleinement efficace que si l’on dresse un état des lieux précis des sources et des racines de l’antisémitisme pour trouver des réponses idoines. Malheureusement, une certaine bien-pensance a pendant trop longtemps empêché de dire cela : « l’antisémitisme en France a pris aujourd’hui de nouvelles formes et provient de différents segments de la société. Il est issu de l’extrême droite et même de la gauche radicale qui vise à diaboliser Israël, mais il est surtout et avant tout issu d’une minorité de français ou d’immigrés, souvent de confession musulmane qui haïssent les juifs.

Outre la nécessité d’apporter des réponses adaptées à ces différentes formes d’antisémitisme, il est aussi vital de retrouver un socle commun. Celui-ci ne doit cependant pas être uniforme, car il n’est pas question d’annihiler les différences de chacun ni de jeter l’opprobre à une autre communauté. Nous devons arrêter de vivre la différence de l’autre comme une menace pour notre propre identité et retrouver le sens d’un projet commun. L’amélioration de la cohésion sociale réduira également la sensibilité à l’antisémitisme.

Par ailleurs, plus doit être fait en matière d’éducation en combattant dès le début les préjugés tout en mettant l’accent sur les similitudes et les valeurs partagées de chaque religion, de chaque culture, de chaque histoire. Le dialogue inter-religieux et inter-cultuel est primordial. Il est important que la différence de l’autre soit vécue comme une richesse et non comme une injustice.

Puis, nous avons besoin de plus de leaders  qui disent la vérité, comme nous avons besoin aussi de la société civile pour en faire l’écho. Entrepreneurs, écrivains, sportifs, personnalités des médias, étudiants doivent être responsabilisés pour avoir ce courage moral. Comment ne pas être nostalgique de la manifestation du 15 mai 1990 qui fut le dernier grand moment de solidarité à l’égard de notre communauté où plus de 200 000 personnes s’étaient élevées contre l’antisémitisme ? Nous devons donc retrouver cette fraternité qui constitue l’un des piliers de la société française.

C’est dans notre intérêt, non de celui des juifs, mais de l’intérêt de la France que l’antisémitisme soit combattu. D’autres l’ont dit, je le répète: l’antisémitisme est toujours symptomatique d’un malaise plus profond dans la société, dont on sait qu’il se dirige aujourd’hui contre les Juifs, mais qu’il finira par s’étendre au reste de la société. C’est nos valeurs qui sont en jeu, c’est cette France que nous aimons tant qui est menacée. L’alternative se révèlerait funeste.