Extrême-droite en Allemagne: "Pourquoi le succès de l’AFD est inquiétant"

Steve Simone, aujourd’hui vous voulez évoquer l’inquiétante percée de l’AfD en Allemagne. Que s’est-il passé? 

Effectivement. Le parti d’extrême droite Alternative pour l'Allemagne (AfD), a fait élire son premier maire à plein temps d'une commune dans l’Est du pays, après avoir décroché une semaine plus tôt la présidence d'une collectivité territoriale. Et cela ne va probablement pas s’arrêter là. Selon un sondage de la chaîne de télévision Mitteldeutscher Rundfunk (MDR), l'AfD en Thuringe obtiendrait  même 34 % des intentions de vote dans le Land. Et ce n’est pas qu’à l’Est où ça se joue. Au niveau national, l’AfD est devenue, selon les sondages, la deuxième force politique en Allemagne. Avec près de 20 % des intentions de vote, l'extrême droite obtiendrait actuellement deux fois plus de voix qu'aux élections fédérales de 2021.

Steve: Comment en est-on arrivé là? 

Vous avez raison de poser cette question, car il est fondamental de comprendre les raisons du succès de l'AfD. Il y a des raisons conjoncturelles, tout d’abord le mécontentement croissant vis-à-vis du gouvernement fédéral actuel, qui existait déjà du temps d’Angela Merkel mais qui s’est sérieusement accéléré avec l’actuelle coalition dans laquelle chaque parti fait des compromis mais renie du coup également un peu son ADN.  Ce mécontentement est aussi lié au sentiment de relégation, d'exclusion et de déclassement, plus encore à l’Est, avec l'inflation et des infrastructures en déclin. Ensuite, en parlant de l’Est, il y a aussi un sujet de fond et qui date. L’Allemagne de l’Est n’a jamais effectué le même travail face à sa propre histoire que l’Ouest. Les idéologies racistes et antisémites ont donc beaucoup plus perduré. Déjà en 91, après la réunification, plusieurs dizaines de néonazis avaient attaqué une résidence avec des réfugiés dans la petite ville de Hoyerswerda. 

C’est aussi pour ça qu’il faut comprendre que  la crise migratoire a produit un sentiment d’insécurité culturelle dans le pays- et encore une fois, plus encore à l’Est. Il y a beaucoup d’autres raisons, qu’on n’aura pas le temps de traiter ici. 

Steve: Et quelle est la conséquence de ce succès pour la communauté juive? 

Comme vous pouvez l’imaginer, la peur grandit au sein des communautés juives. En témoigne les réactions du Président du Conseil central des Juifs, qui a déclaré qu’il s’agissait d’une "brèche que les forces politiques démocratiques de ce pays ne peuvent pas accepter sans réagir". Bien que le parti se présente comme un ami de la communauté juive et Israël, il existe plusieurs preuves du contraire, telles que les nombreuses déclarations antisémites de membres et de dirigeants du parti. Différentes enquêtes journalistiques ont montré que certains d’entre eux avaient même fait partie d'organisations néonazies. 

Steve: Et les électeurs de l’AfD? 

Une enquête publiée en 2021 par le Conseil central des juifs d'Allemagne, confirmé l’année dernière par notre propre étude, a révélé que les électeurs de l'AfD sont deux fois plus nombreux que le reste de la population générale, à avoir des préjugés antisémites. Ils sont par exemple une grande majorité à estimer que les juifs "tirent un avantage pour eux-mêmes de la culpabilité allemande dans la Shoah " ou qu’ils ont "une forte influence sur la politique en Allemagne". 

Steve: Pour revenir aux récentes élections, que pensez-vous qu’il convienne de faire face aux résultats favorables à l’AfD ?  

À ce stade, il ne suffit pas uniquement de s’opposer à l'Afd mais il est aussi du devoir des partis démocratiques de contribuer à traiter les sujets qui font aujourd’hui le succès de l'AfD. Il faut traiter le fond. Les partis démocratiques devraient enfin s'attaquer, par exemple, au problème de l'islamisme et de l’intégration mais aussi des solutions contre le déclassement, notamment à l’Est. En négligeant certains problèmes, on laisse à l'AfD un espace politique qu'il sait exploiter habilement à son avantage.