Antisémitisme : Des mots à l’action
C’est un fait dramatique dans la France de 2019 : l’antisémitisme est en voie de banalisation.
Chaque jour, on découvre une nouvelle ignominie : la hausse de 74% des actes antisémites recensés, la façade d’un restaurant Bagelstein recouverte du mot Juden, les deux arbres plantés en hommage à Ilan Halimi coupés, des portraits de Simone Veil recouverts de croix gammées, Alain Finkielkraut insulté dans la rue, un cimetière profané, des adolescents qui ouvrent le feu devant une synagogue…
14 partis politiques ont appelé, ce mardi, à manifester contre l’antisémitisme. C’est une initiative qu’il faut soutenir et il est important qu’elle émane non pas de la seule communauté juive mais de mouvements politiques républicains.
Après 18 ans de hausse d’actes antisémites, il semble en effet y avoir une prise de conscience de la part de certains dirigeants politiques (même si d’autres – politiques et commentateurs – comme l’explique si bien Marylin Maeso dans un article récent, refusent de combattre l’antisémitisme sans réserve).
Ils font le même diagnostic : la montée incontestable des actes antisémites est le symptôme d’un pays qui va mal, d’une crise démocratique profonde. Mais la question fondamentale qui se pose à nous maintenant est : que faire ?
Il faut dépasser le constat. Il faut soigner le symptôme comme les racines.
Il faut, tout d’abord, trouver un moyen de mobiliser la société toute entière au fléau de cet antisémitisme larvé. Car c’est bien là que le bât blesse : de nombreux pans de la société française restent apathiques et indifférents face à la montée de l’antisémitisme. Pour ça, il faut revigorer les partis, les associations, il faut que les médias jouent leur rôle et que le gouvernement renforce les corps intermédiaires, fortement fragilisés ces derniers temps. Il faut faire de la lutte contre l’antisémitisme une priorité politique absolue, y mettre l’énergie et les moyens nécessaires (la DILCRAH qui fait un travail formidable a un budget très limité).
Il faut imposer des sanctions lourdes et exemplaires, selon une vraie politique de tolérance zéro. Ne rien laisser passer, y compris pour ceux qui se cachent derrière un soi-disant « antisionisme ».
Il faut recréer du commun. Assumer quels principes nous voulons défendre : la démocratie, la République, l’héritage des Lumières, la promotion de l’État de droit. Ce ne sont pas des concepts, ce sont des réalités à faire vivre. Or, depuis déjà trop longtemps, les démocrates et les républicains de ce pays se laissent intimider voire inhiber et n’osent plus défendre ce qui, depuis des décennies, nous permet de vivre ensemble.
Il faut introduire du civisme et de l’éthique sur les réseaux sociaux. Nous ne pouvons plus vivre dans une société où règnent les fausses informations, les théories du complot, le harcèlement ciblé, les influences extérieures et notamment russes sur l’information. Nous ne pourrons jamais continuer à vivre sereinement dans un pays où les identitaires de tous bords veulent nous diviser et créer partout de la concurrence victimaire.
Notre devoir est aussi de dire toutes les vérités. L’enquête que nous avions menée avec la Fondapol montrait clairement où se situait l’antisémitisme dans notre pays. A l’extrême droite où l’on compte encore des nostalgiques du pétainisme, des négationnistes et complotistes . A l’extrême gauche où la critique d’Israël mène très souvent à la propagation d’idées antijuives. Dans une frange trop importante de la communauté musulmane où les préjugés antisémites perdurent et se transmettent. Or, on ne lutte pas de la même façon contre ces phénomènes. Et pour cela il faut aussi que chacun accepte de lutter contre l’antisémitisme de « son camp » : la gauche ne peut pas limiter sa critique à l’antisémitisme d’extrême droite, la droite ne peut pas limiter sa critique à l’antisémitisme d’extrême gauche ou émanant des milieux intégristes musulmans.
Il faut de la détermination. Faire comprendre qu’on ne réclame pas la justice sociale en faisant des quenelles. Que participer à des manifestations où l’on crie « Mort aux Juifs » à Paris n’aidera en aucun cas le peuple palestinien. Que l’antisémitisme d’extrême gauche n’est pas plus acceptable que celui d’extrême droite. Qu’en effet on peut critiquer le gouvernement israélien comme celui de n’importe quel pays démocratique dans le monde mais que remettre en cause l’existence d’Israël est inacceptable et que de croire en un complot sioniste relève non seulement du conspirationisme mais de l’antisémitisme. Que plus aucune mansuétude n’est possible pour les prêcheurs de haine, les imams radicaux, les discours antisémites répercutés par les télévisions satellites. Que l’islam de France ne peut vivre perpétuellement sous le joug d’influences extérieures comme la Turquie ou l’Arabie Saoudite et qu’il faut faire de notre pays où vivent une importante communauté juive et musulmane un terrain de rencontres, d’échanges et de dialogues.
Enfin, il faut du courage. La France n’a toujours pas adopté la définition de l’antisémitisme établie par l’International Holocaust Remembrance Alliance en 2016 votée par le Parlement européen, reconnue par le Conseil européen et adoptée par de nombreux pays européens comme l’Allemagne, l’Angleterre, la Roumanie, l’Autriche et d’autres. Celle-ci démontre clairement comment les discours antisionistes peuvent facilement dériver vers l’antisémitisme.
Encore une fois, aux mots doivent succéder les actes. C’est à l’aune de ceux-ci que les générations futures nous jugeront. Donc soyons nombreux ce mardi pour manifester contre toutes les formes d’antisémitisme, mais surtout, passons à l’action.