Une crise profonde de nos démocraties libérales.
La crainte que nous étions plusieurs à formuler au moment du Brexit, semble s’être réalisée : nous vivons une crise profonde de nos démocraties libérales.
Que ce soit à travers la popularité croissante des partis extrémistes et populistes de gauche et de droite en Italie, en Suede, au Brésil, aux États Unis, en France, en Hongrie ou en Pologne, et même en Israel- ou que ce soit avec l'émergence des Gilets jaunes en France, tout cela se manifeste depuis un certain temps - sans compter les développements très troublants dont nous avons été témoins lors de la crise du Covid.
Et ce que nous voyons depuis quelques jours dans les rues en France, fait en réalité écho à cela. Une crise qui ravive les plaies françaises décrites à longueur d'enquêtes : la défiance vis-à-vis du pouvoir, la déconnexion entre les électeurs et les élus, une France coupée en deux, une radicalisation du spectre politique…
De nombreuses études ont montré que les citoyens, en particulier la classe moyenne inférieure et les habitants des banlieues, ont perdu toute confiance dans les institutions, qu'il s'agisse de leurs gouvernements, des partis ou, bien sûr, dans l'Union européenne. Plusieurs sondages ont également montré que partout en Europe les citoyens estiment que leur vote n’a pas ou peu d’impact sur les situations et n’est pas en mesure de faire changer les choses. Résultat: méfiance, division, apathie et colère.
Nos sociétés sont donc de plus en plus faibles- mais ceci à un moment où elles auraient pourtant besoin d’être unies et fortes, pour faire face aux nombreux défis.
L’invasion de l'Ukraine par la Russie le 24 février de l’année dernière est aussi intervenue comme la brutale matérialisation d'une menace formulée à l'encontre de nos démocraties libérales. Elle s'inscrit dans une guerre contre " l'Occident collectif ", expression renvoyant à une lutte contre un modèle de gouvernance et d'hégémonie occidentale.
L Mais la Russie n’est pas seule. Il y a bien sûr l’Iran qui non seulement livre des armes à la Russie, mais essaie de renforcer sa position dans la région. Il y a ensuite la Chine. Le voyage de Xi à Moscou cette semaine semble avoir confirmé le partenariat étroit entre la Chine et la Russie, visant à établir un ordre mondial autocratique dans lequel Pékin veut prendre le leadership. Ce rôle, la République populaire le joue déjà en partie. Au début du mois, Pékin a surpris le monde en négociant une détente entre l'Arabie saoudite et l'Iran, une incursion audacieuse dans les rivalités turbulentes du Moyen-Orient. Téhéran ainsi que Riyad souhaitent maintenant rejoindre les Brics, un groupe de pays (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) qui aspirerait donc à un nouvel ordre mondial.
Dans le même temps, les Etats-Unis et plus largement des démocraties libérales, après avoir su se ressaisir suite à la guerre en Ukraine, peinent aujourd’hui à contenir les divisions et crises qui les guettent. Bien sûr, que les attaques de l’extérieur de leurs ennemis, guerres réelles, énergétiques, hybrides et numériques les affaiblissent. Mais l’une des principales causes de cet affaiblissement vient aussi de l’intérieur.
Si l’on prend l’exemple d’Israël, le chercheur israélien Shany Mor m’a récemment dit une chose triste et drôle à la fois : Si l’un des pires ennemis d'Israël avait comme projet d’affaiblir le pays il ferait exactement ce qui est en train de se passer avec la réforme de la justice : ceci diviserait le pays, ferait s'effondrer le shekel, pousserait le secteur de la haute technologie à fuir à l'étranger, et saperait l’attractivité envers les partenaires.
Indépendamment donc de savoir si on est pour ou contre la réforme en Israël ou en France (et oui ,les deux n’ont bien sûr rien à voir; personnellement je suis plutôt pour l’une et opposée à l’autre ) on peut néanmoins se demander si nos dirigeants ont conscience de la gravité de la situation et de la responsabilité qui leur incombe.
Les défis sont nombreux à venir et la moindre faille est facilement exploitée par les autocrates qui rêvent de mettre à mal l’Occident. La question qui devrait nous obséder devrait donc être simple : comment renforcer nos démocraties libérales.