Une Israélienne de gauche découvre et partage avec nous une lueur d’espoir
La femme politique israélienne de gauche Einat Wilf et le professeur du centre palestinien Mohammed S. Dajani Daoudi ont rédigé une déclaration commune ayant pour objectif de réunir Israéliens et Palestiniens autour de la question si controversée du partage de la terre. Voici comment Einat Wilf explique le cheminement de cet ambitieux projet :
« Je suis une enfant de la gauche israélienne. J’ai grandi au sein de cette gauche. J’en ai toujours été membre. Je pensais que le jour où les Palestiniens auraient leur propre Etat souverain, Israël pourrait enfin vivre en paix. Mais comme de nombreux Israéliens de gauche, j’ai perdu cette certitude.
Pourquoi? Au cours des 14 dernières années, j’ai été témoin de l’incapacité des Palestiniens à prononcer le mot «oui» lors des occasions répétées d’accession à la souveraineté et à un État; j’ai vécu les massacres sanglants d’attentats-suicides en Israël avant 1967, mais aussi à la suite des Accords d’Oslo, puis de nouveau après l’échec des négociations de Camp David en 2000; et j’étais aux premières loges pour assister à la recrudescence de la rhétorique anti-Israël. Cette rhétorique qui masque si peu une haine profonde et viscérale pour l’Etat et pour son peuple, et qui ne peut se justifier par la simple critique politique.
Au cours de ces dernières années, mon scepticisme envers la gauche a été nourri par plusieurs événements, parmi lesquels une rencontre avec de jeunes dirigeants palestiniens modérés. Au premier abord, j’avais pourtant beaucoup de choses en commun avec ces leaders. Mais, au fil de nos discussions, j’ai compris que leur modération se limitait à la seule reconnaissance d’Israël comme une réalité, une fatalité, qui n’est pas susceptible de disparaître. L’un d’entre eux m’a même lancé « Tu es née ici, tu es déjà sur place, on ne va pas te renvoyer maintenant !» (« Merci, c’est gentil. », ai-je pensé). J’ai surtout été choquée par ce que j’ai entendu lorsque l’on a débattu sur les sources profondes du conflit : « Le judaïsme n’est pas une nationalité, c’est seulement une religion. Les religions n’ont aucune légitimité à l’autodétermination ». Le lien historique entre le peuple juif et la terre d’Israël m’a également été présenté par l’un des participants comme étant un lien fabriqué de toutes pièces, voire un lien inexistant.
Après avoir entendu les commentaires de ces « modérés », j’ai dû me rendre à l’évidence : le conflit était bien plus profond et plus grave que ce que je voulais bien croire. Il n’était pas seulement question du problème des colonies ou de l’ « occupation », malgré ce que les porte-paroles palestiniens veulent bien faire croire à la gauche israélienne. J’ai réalisé que ce qui motivait ces Palestiniens à accepter la nécessité d’un processus de paix, c’est avant tout la force indubitable d’Israël et de son armée, et résultait donc d’un non choix. La gauche israélienne soutient la création d’un Etat palestinien car les Palestiniens ont le droit, selon elle, à la souveraineté de leur patrie. A l’inverse, la « gauche » palestinienne ne reconnaît pas ce droit au peuple juif.
Ces réflexions personnelles – qui ont fait suite à l’entretien politique – ont finalement affecté ma carrière politique sur le long terme. Je me suis éloignée quelque peu du Parti travailliste, principalement à cause de ce que je nomme « l’auto-flagellation de gauche », soit le fait d’attribuer tous les torts à Israël sans exiger une once de reconnaissance ou de responsabilité des Palestiniens dans le conflit. En tant que membre de la Knesset, j’ai aidé à distinguer l’aile pacifiste de l’aile belliciste au sein du Parti travailliste dont j’étais membre, afin de permettre à l’aile belliciste dirigée par l’ex-ministre de la Défense, Ehud Barak, de rester dans la coalition avec le Premier ministre, Benjamin Netanyahou. Cette prise de conscience a également alimenté ma détermination à défendre Israël et le sionisme, arguant dans le monde entier que la paix doit être fondée sur la reconnaissance mutuelle des deux peuples de leur droit analogue à la terre.
Ainsi, j’ai trouvé la situation plutôt caustique, lorsqu’il y a tout juste quelques mois, j’ai reçu un email de l’organisateur de la fameuse réunion israélo-palestinienne qui avait eu lieu plusieurs années auparavant. A la demande de l’un de ses bailleurs de fonds, il désirait savoir si le programme avait eu une « incidence quelconque » sur l’un d’entre nous, « qu’elle soit professionnelle, personnelle, sociale ou politique ». J’ai naturellement répondu par la positive, expliquant que le programme avait eu un impact très important sur ma pensée, et que je continuais d’ailleurs à l’évoquer lors de mes différentes entrevues politiques ou conférences. J’ai ensuite raconté l’histoire telle que je vous l’ai narrée à l’organisateur, reconnaissant que ce n’était probablement pas ce qu’il aurait souhaité entendre ni raconter à ses bailleurs de fonds.
L’organisateur a répondu à mon email, me certifiant qu’il y avait aussi des leaders palestiniens qui reconnaissaient sincèrement le droit des Juifs à une part de la terre. Je lui ai alors affirmé avec enthousiasme, que « rencontrer ne serait-ce que l’un d’entre eux représenterait énormément pour moi », mais aussi que je cherchais à discuter avec une telle personne depuis que j’avais participé à l’événement, des années plus tôt.
Peu de temps après, l’organisateur me retranscrivait les propos d’un participant palestinien, qui lui avait exprimé le désir de renouveler le programme de sorte que «nous puissions tous parvenir à une entente, en présentant un Etat palestinien indépendant dont la capitale serait Jérusalem-Est et qui jouxterait harmonieusement l’Etat israélien. » Ce à quoi j’ai répondu « Je ne vois pas en quoi cette personne reconnaît le droit égal et légitime du peuple juif à un Etat souverain sur la terre. » L’organisateur m’a donc demandé de lui préciser ce qui pourrait me convaincre d’avoir un véritable allié palestinien dans ma volonté sincère d’aboutir à la paix dans la région. J’ai donc rédigé le paragraphe suivant :
« Le peuple juif et le peuple palestinien jouissent tous deux d’un droit égal et légitime à un Etat souverain pour leur peuple sur la terre d’Israël/Palestine. » et j’ai détaillé « Les Juifs comme les Palestiniens du monde entier ont le droit, de façon égale et légitime, de s’installer et de vivre n’importe où sur la terre d’Israël/Palestine. Mais, si l’on tient compte de la volonté des deux peuples à acquérir un Etat souverain reflétant la particularité de leur culture et de leur histoire respective, il semble logique de partager le pays en 2 Etats : un Etat juif, Israël, et un Etat arabe, la Palestine, qui leur permettrait de profiter tous deux de leur propre foyer national. » J’ajoutais également qu’il devrait être clair que ni Israël ni la Palestine ne doivent être exclusivement la terre des Juifs d’un côté et celle des Palestiniens de l’autre, et qu’il leur faudra accueillir les différentes minorités.
L’organisateur a promis de revenir vers moi. Les semaines et les mois ont passé sans que je ne reçoive de ses nouvelles. J’étais sur le point de publier tout ceci, dans l’espoir de trouver des partenaires partageant ma conviction et susceptibles de m’aider à raviver l’espoir d’une paix possible. Et, à la dernière minute, j’ai été contactée par le professeur Mohammed S. Dajani Daoudi, à la tête des Etudes Américaines de l’Université de Jérusalem Al-Quds, et fondateur du mouvement centriste palestinien Wasatia. Tout ce qu’il demandait était de changer quelques termes utilisés dans mes propos, qui pouvaient avoir une connotation négative pour les Palestiniens, rappelant notamment le plan de partage de l’ONU de 1947. Il a souligné espérer cependant que les Palestiniens prennent conscience un jour prochain que le partage de la terre en un Etat juif et un Etat palestinien, comme le prévoyait la résolution de l’ONU, était « la bonne chose à faire » en 1947 puisque les deux parties disposent d’un droit légitime à la terre, et que cela reste « la bonne chose à faire » aujourd’hui. J’ai trouvé ces modifications tout à fait recevables et même particulièrement judicieuses. Ainsi, voici la déclaration telle que nous la partageons désormais :
« Les Juifs du monde entier et les Palestiniens du monde entier ont équitablement et légitimement le droit de s’installer et de vivre n’importe où sur la terre d’Israël/Palestine. Mais, compte-tenu de la volonté des deux peuples d’accéder à un Etat souverain reflétant leur propre culture et histoire, nous croyons au partage de la terre en deux Etats : un Etats juif, Israël, et un Etat arabe, la Palestine, qui leur permettrait de jouir tous deux de leur propre foyer national. Ni Israël ni la Palestine ne doivent être l’exclusivité du peuple juif ou du peuple palestinien, et les deux doivent accueillir les autres minorités. »
Qui d’autre se joindra à nous et deviendra notre partenaire ? »
Texte traduit librement d’un article de Al-Monitor.
Einat Wilf est une femme politique israélienne. Ex-députée de la Knesset, elle est membre du Parti Indépendance, un parti sioniste de centre-gauche, fondé en janvier 2011 par Ehud Barak et d’autres députés travaillistes de la Knesset.