Radio J : La chronique hebdo de Simone Rodan-Benzaquen dans le Grand Journal du 11 mars 2022. Thème : "La propagande russe"
Un vote au Parlement européen qui a eu lieu avant-hier, est passé relativement inaperçu, tant il est difficile de se détacher des drames qui se déroulent à seulement quelques milliers de kilomètres de nous.
Il mérite pourtant qu’on s’y attarde, d’autant qu’il n’est pas sans lien avec la guerre que mène la Russie en Ukraine. Car pour la première fois de son histoire le parlement européen a voté un rapport de la commission spéciale sur les ingérences étrangères dans nos démocraties, présidée par l'eurodéputé français Raphaël Glucksmann.
Adopté par une écrasante majorité, le texte prévoit, après des années de "naïveté" et de "négligence" qui ont rendu l'UE vulnérable aux attaques, de lutter contre la façon dont les puissances étrangères malveillantes, la Russie en tête, s’ingèrent dans nos démocraties européennes.
Pourtant pendant tant d’années les européens pensaient que les acquis, la paix et la démocratie, la liberté et l’état de droit étaient là pour toujours. Rares étaient ceux qui nous alertaient du rêve russe d'un monde postoccidental ». Dans le programme poutinien, l’Ukraine n’est pourtant qu’une bataille dans une guerre qui a commencé depuis longtemps. Cette guerre est menée par les armes mais aussi par d’autres moyens. Rappelons-nous des mots du ministre des affaires étrangères russe Serguei Lavrov, qui traçait déjà en 2014 l'horizon d'une « finlandisation » de l'Occident, qui, pour s’accomplir, passe par une Europe affaiblie et divisée, dont les pays tourneraient le dos à leur passé de politique commune.
Ce que le rapport de la commission sur les ingérences pointe du doigt, c’est donc cette « autre guerre » qui nous est menée: désinformation, manipulation des réseaux sociaux, espionnage, harcèlement de journalistes et de chercheurs, captures d’élites, attaques cyber, financement de campagnes politiques, d’associations ou de partis politiques, investissements dans des secteurs stratégiques et des infrastructures critiques. Tout est fait pour déstabiliser nos démocraties européennes mal préparées, qui disposent de peu d’outils de prévention.
Et la Russie n’est pas le seul acteur malveillant. L’Europe vient d’interdire RT et Sputnik, et on ne peut que s’en réjouir tant cette désinformation et propagande étatique posaient problème pour nos démocraties.
Mais qu’en est-il de AJ+ ou encore d’Al Jazeera? Qu’en est il de l’ingérence par la Turquie, l’Iran, l’Arabie saoudite dans l’islam européen, de ces pays qui financent directement ou indirectement depuis des années des mosquées et des associations?
Qu’en est-il de la propagande chinoise, du rachat d’industries européennes?
Avec la guerre contre l’Ukraine, l’Europe s’est réveillée après vingt ans d’aveuglements face à la Russie. Avec ce vote, l’Europe s’est peut-être réveillée sur les autres moyens de déstabilisations qui lui sont opposés par la Russie mais aussi par d’autres pays non-démocratiques et hostiles. Comprendre que le sujet de la souveraineté européenne que certains prônent depuis déjà de nombreuses années - à commencer par l’AJC - doit devenir une réalité tangible, est aujourd’hui essentiel.
Emmanuel Macron a parlé hier d’un «sursaut européen». Ce sursaut doit bien évidemment être militaire, énergétique et politique, mais il doit aussi être un Sursaut pour défendre les valeurs qui constituent notre continent. Nous devons arrêter de regarder le monde avec naïveté et comprendre que nous devons nous protéger par tous les moyens. Le grand Sursaut est effectivement nécessaire. Car demain il sera trop tard.