Bilan des combattants européens engagés dans le conflit syrien par Aaron Y. Zelin du Washington Institute.

Ces dernières semaines, il y a eu beaucoup de signaux d’alarme au sujet des musulmans européens qui ont rejoint les rebelles syriens. Un rapport indépendant du Royaume-Uni a affirmé que plus de 100 Britanniques sont allés en Syrie, « Le Figaro » fournit une estimation de 50 à 80 français engagés en Syrie, « Der Spiegel » parle de «douzaines» d’Allemands et le « Jyllands-Posten » mentionne 45 Danois. Quant aux Pays-Bas, le pays a relevé son niveau d’alerte contre le terrorisme. En effet, une centaine de personnes, qui sont soupçonnés d’avoir voyagé en Syrie, pourraient retourner aux Pays-Bas et commanditer des attaques terroristes.

Ce rapport dresse un premier bilan des Européens qui ont rejoint les rebelles en Syrie. Il démontre que la mobilisation des musulmans à travers le monde, suite au conflit syrien, est considérable : entre 140 et 600 Européens sont allés en Syrie depuis le début de 2011, ce qui représente 11.7% du total des combattants étrangers. Les services de sécurité européens devront surveiller étroitement la situation et devront se montrer intraitables quand ces combattants seront de retour en Europe.

Combien sont-ils à avoir rejoint les rebelles syriens ?

Notre estimation se base sur plus de 450 sources dans les médias occidentaux et arabes ainsi que sur les avis de décès des martyrs qui ont été postés sur des forums en ligne djihadistes.

De la même manière que les conflits précédents, le tableau est loin d’être définitif et il le restera probablement dans les années à venir. En effet, il n’y a pas de « vrai recensement » des combattants étrangers et les sources accessibles au public sont inévitablement incomplètes.

En conséquence, les chiffres varient considérablement.

Il convient de préciser que les chiffres qui vont être présentés sont de deux ordres :

–       Les premiers chiffres sont une estimation officielle et résultent des individus confirmés,

–       Les deuxièmes chiffres sont des estimations plus globales fournies par des sources gouvernementales et des médias.

 Les informations seront analysées de trois manières différentes:

–       (A) Total des combattants et pays par pays qui sont présents, ont été tués et / ou arrêtés, ou rentrés chez eux,

–       (B) Présence actuelle de combattants étrangers (mars 2013),

–       (C) Martyrs tués lors des combats.

A.   Vision globale

Depuis le début du conflit en Syrie, au début de  l’année 2011, on peut estimer que 2000-5500 combattants étrangers sont allés en Syrie pour combattre avec les forces d’opposition.

La part européenne de ce total représente 135 – 590 personnes, soit 11.7% du total des combattants étrangers.

 Pays par pays, les chiffres sont les suivants:

  • Albanie : 1
  • Autriche : 1
  • Belgique : 14-85
  • Grande-Bretagne : 28-134
  • Bulgarie : 1
  • Danemark : 3-78
  • Finlande: 13
  • France: 30-92
  • Allemagne : 3-40
  •  Irlande : 26
  • Kosovo : 1
  • Pays-Bas : 5-107
  • Espagne : 6
  • Suède : 5 

B. Présence actuelle

Nous estimons que 70 – 441 Européens sont encore actuellement présents en Syrie. Tout porte à croire que la plupart des Européens qui ont voyagé en Syrie sont encore sur le champ de bataille.

Pays par pays, les chiffres sont les suivants :

–       Belgique : 4-75

–       Grande-Bretagne : 17-77

–       Danemark : 3-48

–       Finlande : 12

–       France : 9-59

–       Allemagne : 1-37

–       Irlande: 15-25

–       Pays-Bas: 4-104

–       Espagne : 1

–       Suède : 3

Il convient de noter que certaines de ces sources peuvent être obsolètes, ce qui signifie que les chiffres réels pourraient être plus faibles.

C. Martyrs djihadistes tués

Les forces rebelles en Syrie peuvent être divisés en trois groupes : les unités indépendantes locales ; les unités de l’Armée syrienne libre (ASL) et des « soi-disant » djihadistes dont l’idéologie est proche de celle d’Al-Qaïda.

Le nombre de décès des djihadistes est établi par l’intermédiaire des avis de décès publiés en ligne sur des forums liés  à Al-Qaïda.

Sur 249 avis de décès de martyrs étrangers, nous en avons identifié 8 (soit 3% du total) dont le pays d’origine est en Europe : Albanie, Bulgarie, Danemark, Espagne, France, Kosovo, Royaume-Uni et Suède.

Les chiffres réels pourraient être plus élevés en raison d’avis de décès manqués ou de décès non déclarés.

Le conflit syrien est-il si étranger ?

Le gouvernement syrien a plusieurs fois affirmé, pour diverses raisons, que les nombreux combattants, qui sont impliqués dans le conflit actuel, sont des étrangers.

Nos chiffres ne corroborent pas cette affirmation.

En effet, si l’on juxtapose l’estimation la plus élevée du nombre de combattants étrangers au cours de l’ensemble du conflit (5500) avec l’estimation la plus faible de la taille actuelle des forces rebelles (60.000), les étrangers représentent moins de 10%.

Le chiffre réel est donc probablement plus faible.

Cela dit, les combattants étrangers ont certainement un impact et une valeur militaire plus élevés par rapport aux forces recrutées localement car les étrangers sont plus susceptibles d’avoir été impliqués dans des conflits tels que la Libye et l’Irak. Par conséquent, ils ont une expérience et des compétences que les combattants locaux n’ont pas.

Motivation

De nombreux médias et analystes ont catégorisé l’ensemble des combattants étrangers comme des terroristes ou des membres d’Al-Qaïda. La réalité est plus complexe.

Comme il a été précisé ci-dessus, toutes les forces rebelles en Syrie ne sont pas djihadistes et, pour ceux qui le sont, n’ont pas forcement de liens avec Al-Qaïda.

En outre, tout ceux qui rejoignent un groupe djihadiste n’ont pas une idéologie djihadiste totalement arrêtée à la base.

Les raisons les plus fréquemment citées pour rejoindre les forces rebelles sont les images horribles du conflit, les histoires racontées sur les atrocités commises par les forces gouvernementales et le manque perçu de soutien des pays occidentaux et arabes.

Dans de nombreux cas, ces personnes adoptent pleinement la doctrine et l’idéologie djihadiste seulement après avoir été sur ​​le terrain et avoir été en contact avec des combattants endurcis.

Conclusion

Il est important de nuancer les propos quand on aborde le phénomène des combattants étrangers en Syrie : tous les rebelles syriens ne sont pas des membres d’Al-Qaïda et seul un petit nombre pourrait être impliqué dans des actes terroristes après un retour en Europe.

Ceci dit, il serait faux de conclure que les individus qui ont été formés et ont combattu en Syrie ne posent pas de menace potentielle. De nombreuses études montrent que les individus formés à l’étranger avec ou sans une expérience de combat figurent en bonne place sur la liste des responsables d’attaques terroristes.

Par ailleurs, selon une étude publiée récemment par l’académicien Norvégien Thomas Hegghammer, les attaques de terroristes ayant une expérience à l’étranger sont beaucoup plus mortelles, dangereuses et sophistiquées que les cellules purement internes

La mesure dans laquelle le conflit syrien a mobilisé les musulmans partout dans le monde est importante et peut être comparée aux conflits en Irak dans les années 2000, la Bosnie dans les années 1990 et en Afghanistan dans les années 1980.

Informés de l’ampleur de ce recrutement, les services de sécurité européens devront surveiller étroitement la situation et devront se montrer intraitables quand ces combattants seront de retour en Europe.

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