Radio J : La chronique hebdo de Simone Rodan-Benzaquen dans le Grand Journal du 3 juin 2022. Thème : « Russie, Iran, Chine : menaces de prolifération nucléaire »
Les horreurs de la Seconde Guerre mondiale ont donné naissance à deux concepts importants pour prévenir les atrocités de masse : la non-prolifération nucléaire et la prévention des génocides. Au cours des 75 années qui se sont écoulées depuis, la non-prolifération a connu quelques véritables succès ; la prévention des génocides, comme je vous en ai déjà parlé, malheureusement non.
Mais aujourd’hui l’ordre nucléaire mondial, créé dans le cadre du système d'après-guerre, est malheureusement aussi sur le point de devenir une victime collatérale de la guerre en Ukraine.
Tout d’abord il faut comprendre que la décision de Poutine d'envahir l’Ukraine constitue une violation directe du Mémorandum de Budapest. À la fin de la guerre froide, l'Ukraine disposait du troisième plus grand arsenal nucléaire du monde. En 1994, l'Ukraine avait rendu à la Russie près de 2000 armes nucléaires héritées de l'éclatement de l'Union soviétique - en recevant en retour la garantie, sous la forme du Mémorandum de Budapest (également signé par le Royaume-Uni et les États-Unis), que l'Ukraine ne serait pas attaquée et que son intégrité territoriale serait respectée.
Aujourd’hui, on peut supposer que Kiev aimerait revenir sur cette décision, compte tenu du comportement de la Russie et de ce que cela signifie pour l’Ukraine.
Mais les conséquences de ce qu’il se passe, vont au-delà de la question de l’Ukraine ou même de l’Europe. D’autres pays tireront des leçons de la situation actuelle, qui ne sont pas dans l'intérêt de l’Occident. Le message subliminal est : « Si vous avez des armes nucléaires, gardez-les. Si vous ne les avez pas encore, obtenez-les, surtout si vous n'avez pas pour allié un défenseur puissant comme les États-Unis, et si vous avez des différends avec un grand pays qui pourraient vraisemblablement mener à la guerre. »
Et les indices inquiétants commencent à s’accumuler: le Pentagone a récemment déclaré que Pékin, qui avait longtemps affirmé n'avoir besoin que d'une "dissuasion minimale", s'apprêtait à construire un arsenal d'au moins 1000 armes nucléaires d'ici 2030.
Le commandant du commandement stratégique des États-Unis, l'unité militaire qui maintient l'arsenal nucléaire prêt à être lancé, a déclaré le mois dernier qu'il craignait que Pékin ne tire les leçons des menaces de Moscou concernant l'Ukraine et ne les applique à Taïwan, qu'il considère de la même manière comme un État sécessionniste.
Les Chinois "observent de près la guerre en Ukraine et utiliseront probablement la coercition nucléaire à leur avantage" lors de futurs conflits, a déclaré le commandant, l'amiral Charles A. Richard, au Congrès. L'objectif de Pékin, a-t-il ajouté, "est de parvenir à la capacité militaire de réunifier Taïwan d'ici 2027, si ce n'est plus tôt".
D'autres pays tirent leurs propres leçons. La Corée du Nord construit de nouvelles armes. Du coup la Corée du Sud discute à nouveau ouvertement de l'opportunité de construire une force nucléaire pour contrer le Nord, ce qui rappelle les années ´70, lorsque Washington avait forcé le Sud à renoncer à un programme secret d'armement.
En Corée du Sud et au-delà, le renoncement de l'Ukraine à son arsenal nucléaire il y a trente ans est considéré par certains comme une erreur qui l'a laissée ouverte à l'invasion.
Et enfin, l’Iran a aujourd’hui construit une grande partie de son infrastructure nucléaire. Des rapports de l'Agence internationale de l'énergie atomique suggèrent que Téhéran peut désormais produire le combustible pour une arme nucléaire en quelques semaines, bien que la tête nucléaire prenne un an ou plus, une menace directe notamment pour Israël et les pays du Golfe.
Selon les experts, nous nous approchons donc à grands pas d'une deuxième ère nucléaire, pleine de nouveaux dangers et d'incertitudes, moins prévisible encore que pendant la guerre froide. Il est donc impératif pour les alliés de contrer clairement et fortement les efforts de pays comme l’Iran, d’envoyer des messages clairs à la Chine et surtout aussi et avant tout soutenir l’Ukraine. Le message envoyé au monde entier aura des implications sérieuses.