Guerre Israël-Hamas : ces Français qui servent Tsahal

Après l’attaque sanglante du Hamas, il y a un peu plus de cent jours, des centaines de Juifs à la double nationalité sont partis en Israël rejoindre leur unité de réserve. La plupart sont encore au front, ou mobilisés. Au-delà, toute une chaîne de solidarité s’est mise en place depuis l’Hexagone pour envoyer aux soldats des vêtements ou de la nourriture.

Par Charles de Saint Sauveur 

Combien sont ils, parmi les 350 000 réservistes mobilisés par Tsahal, à avoir aussi la nationalité française ? Depuis le début du conflit, après l’attaque meurtrière du 7 octobre, le chiffre de 4 000 soldats binationaux mobilisés — soldats d’active et surtout réservistes — dans l’armée israélienne circule, sans plus de certitude.

« Pour nous, ce n’est pas un sujet. On ne demande pas à un soldat de Tsahal d’où il vient, explique le colonel Olivier Rafowicz, lui-même officier réserviste et porte-parole de l’armée. Il est là, il est Israélien et il protège le pays. C’est tout ce qui compte. » Fermez le ban !

La France serait la 2e nation étrangère la plus représentée après les États-Unis. Dans les jours qui ont suivi l’assaut du Hamas, l’aéroport de Roissy a vu affluer des centaines de Juifs vers les comptoirs de la compagnie El Al. Dans leurs poches, un billet aller, mais pas de retour. Benjamin, 34 ans, a tout quitté le 10 octobre : son poste de chercheur dans un laboratoire, sa compagne, sa famille et cette vie parisienne qu’il "adore".

Cent jours plus tard, le trentenaire est toujours sur le front, dans son unité d’infanterie. Au Nord, là où le Hezbollah menace ? Au Sud, où l’État hébreu mène une guerre pour détruire le Hamas et récupérer ses otages ? « Je ne peux rien dire, sauf que je suis dans une compagnie très active », élude le chef d’escouade.

Le doigt posé sur la détente de son M4, il part régulièrement en mission pour « rechercher et neutraliser les terroristes », lui qui est d’ordinaire plongé dans le silence d’un prestigieux laboratoire universitaire du centre de Paris. « J’étais prêt à combattre. Tous les ans ou presque depuis mon service militaire, je rejoins mon unité de réserve en Israël. Au boulot, ils s’inquiètent pour moi. Ils m’ont facilité les choses, ils ont été géniaux. »

"Émotionnellement figé le 7 octobre"

Après trois mois et quelques jours de mobilisation non-stop, hormis une petite « perm » en France pour embrasser ses proches fin décembre, il n’a pas quitté ses « frères d’armes », épargnés par les rudes combats. « Nous avons eu un blessé très grave qui s’est pris trois balles, dont une dans le cou, mais il est vivant. » Comme de nombreux Israéliens, même dotés d’une autre nationalité, il déplore plusieurs proches ou connaissances tombés le 7 octobre, une date sur laquelle il est resté "émotionnellement figé", dit-il.

"Les Israéliens, et au-delà les Juifs du monde entier, ont ressenti cette attaque comme une menace existentielle. L’élan de solidarité a été impressionnant, à la hauteur de la menace ressentie", analyse Anne Sophie Sebban, directrice du bureau français de l’American Jewish Committee, une des plus grandes ONG juives, présente dans le monde entier. Outre les départs de réservistes, plus que l’armée ne pouvait en absorber dans ses rangs, une chaîne de solidarité s’est spontanément mise en œuvre "à l’arrière".

Les Juifs de France, plus importante communauté d’Europe, se sont particulièrement mobilisés. Alexis, chef d’entreprise d’une quarantaine d’années, a ainsi acheté dix mille batteries externes pour que les soldats puissent garder leur smartphone chargé. Ingrid a lancé une collecte sur Instagram pour financer l’achat de Go Pro pour une unité de 17 parachutistes. Chaussures, lampes frontales, chaussettes chaudes… Des cargaisons entières sont parties de France pour les soldats de Tsahal.

Sa mission prendra fin, pas la guerre

"On a reçu énormément de dons, de la nourriture et des pulls pour l’hiver", applaudit Benjamin, dont la mission prendra fin. Pas la guerre. "C’est difficile de rentrer en France alors que des otages sont toujours à Gaza, et que les combats continuent contre nos ennemis."

En attendant d’être rappelé sur le front, le chercheur pourra reprendre le cours de sa vie parisienne, songe déjà à la crème brûlée qu’il dégustera dans son bistrot préféré, après un petit sas de décompression qu’il devine déjà ponctué "d’une bonne grippe". "C’est une expérience très éprouvante, très intense. Il y a le manque de sommeil, le froid, l’incertitude et l’adrénaline plus que la peur à laquelle nous n’avons pas trop le temps de penser."

La certitude de mener une "guerre juste"

Domine chez Benjamin le sentiment de mener une "guerre juste", certitude partagée par d’autres Franco-Israéliens comme Raphaël, vingt-cinq ans, qui a quitté le Val-de-Marne à l’âge de 11 ans pour la Terre sainte. "La mort de civils m’attriste mais c’est une guerre de survie pour Israël", estime ce "sioniste de gauche, partisan de la paix avec les Palestiniens et pas fan du gouvernement Netanyahou".

Avec son look d’intello à lunettes, on l’imagine plus étudiant en sciences politiques que chef de tank… ce qu’il est aussi ! Lui n’a pas combattu, son officier étant tombé malade au début de la guerre. En réserve de son unité réserviste, il attend le moment du rappel, son barda empaqueté dans un sac, et l’œil rivé sur le portable.

"Le reste de ma compagnie est à Gaza. Ce n’est pas si simple à vivre, même si je sens mes parents soulagés", confie le jeune homme, un peu "frustré" malgré tout. "Vu de France, c’est sans doute difficile à comprendre. On a oublié ce que c’était de devoir défendre son pays."