Radio J : La chronique hebdo de Simone Rodan-Benzaquen dans le Grand Journal du 25 mars 2022. Thème : "Guerre en Ukraine : l'obsession anti-israélienne"

Je ne sais pas si vous l’avez remarqué, mais même dans des guerres qui ne se passent pas au Proche-Orient, des guerres qui n'impliquent pas Israël, en l'occurrence celle que mène aujourd’hui la Russie à l’Ukraine, Israël semble être malgré tout au centre de l’attention dans certains médias et sur les réseaux sociaux. Les articles et les commentaires se succèdent pour dire qu'Israël serait « un grand allié de la Russie », tandis que certains comparent la situation des Palestiniens à celle des ukrainiens ou encore d’autres qui accusent Israël de « refuser d’accueillir des réfugiés ukrainiens » .

Pour commencer, je voudrais être très claire: je fais partie de ceux qui considèrent qu’Israël devrait faire plus pour soutenir l’Ukraine.

Certes, Israël reste fidèle au Tikun Olam. Elle a ouvert l’opération Shining Star, une initiative humanitaire qui comprend l’ouverture d'un immense hôpital de campagne à Lviv pour soigner les victimes de l'invasion russe. Plus de 100 tonnes d'aide humanitaire ont été expédiées au cours des premières semaines. Oui, plus de 13,000 réfugiés ukrainiens sont à ce jour arrivés en Israël, un nombre bien supérieur à celui que d'autres pays, comme les États-Unis et le Royaume-Uni, ont accueilli - y compris des non-Juifs. Et, soyons clair: contrairement à ce qui est souvent dit, Israël a explicitement condamné les crimes de Poutine et a affirmé qu’elle se conformera aux sanctions internationales contre la Russie.

Il est vrai aussi qu'Israël est dans une position extrêmement délicate, compte tenu du fait qu’elle partage aujourd’hui une frontière avec la Syrie où la Russie est la principale force militaire, pays frontalier dans lequel l’ennemi principal d’Israel, l’Iran est présent.

Mais comme je disais, je pense qu’Israël devrait faire davantage. Israël doit avoir une attitude plus audacieuse face à la Russie, non seulement parce que dans le passé, alors que l’Union soviétique était plus hostile et puissante que la Russie actuelle, Israël le faisait, comprenant qu’elle jouissait, comme aujourd’hui d'un avantage important au Moyen-Orient- mais aussi parce qu’il n’est ici pas uniquement question d'intérêts mais aussi de valeurs. Et Israël est une nation de valeurs; une nation composée de citoyens qui croient en ce qui est juste et qui sont prêts à risquer leur vie pour sauver autrui.

Mais revenons à ce que je vous disais au départ- malgré le fait que je pense qu’Israël devrait faire davantage, je ne peux que ressentir un terrible malaise avec cette attention disproportionnée envers Israël dans cette guerre.

Est-ce parce que le Premier Ministre Bennett a souhaité jouer un rôle de médiation entre Vladimir Poutine et Vlodomir Zelensky, parce qu’il est allé le rencontrer à Moscou, est-ce parce que le Président Zelensky s’est adressé à la Knesset? Parce que Jérusalem a été évoqué comme un lieu de négociation entre les deux parties? Peut-être, mais j’ai des doutes…

J’ai plutôt le sentiment qu’Israël sert d’exutoire à un sentiment de culpabilité occidental. N’est-ce finalement pas toujours le même mécanisme qui se met en place dès qu’il s’agit d'Israël? On voit du côté d’Israël un manque d’humanité, un manque de solidarité- comme si cet enieme episode ukrainien serait la preuve supplémentaire de la « corruption morale » de l’état d’Israël- dans la même veine d’un Israël prétendument « raciste » ou « apartheid »…

Au fond, n’est-ce pas la meilleure manière de se sentir un peu moins coupable, d’éviter de se remettre en question, de se poser les vraies questions? De se poser des questions sur notre aveuglement à nous, face à la menace russe qui nous a conduit à laisser prospérer l’influence russe en Europe, qui a permis à la Russie de prendre une place en Syrie qui lui permet aujourd’hui d’être de facto le voisin d'Israël?

Alors oui, demandons à tous, européens, américains, tous- y compris Israël de faire davantage pour soutenir le peuple ukrainien et son président. Mais de grâce, évitons d’utiliser cette guerre comme une énième occasion pour faire une thérapie de groupe sur le dos d'Israël.